Immersion en Turakie
Par Élise Ternat
Les Trois Coups
En ce mois de décembre 2008 surgit des tubes à essai des Nouvelles Subsistances, autrement appelé Laboratoire de création artistique, « À notre insu ». Le Turak Théâtre bien connu des Lyonnais, puisque la compagnie est elle-même lyonnaise, embarque une nouvelle fois le public dans un voyage à destination de la Turakie. Car c’est tout un monde que le Turak Théâtre.
Ce sont neuf individus qui entrent en scène. Parmi eux, Michel Laubu, qui de son air espiègle choisit de surprendre un peu le public en commençant… par le commencement. Sous forme d’une rencontre avec l’équipe artistique comme on pourrait l’attendre à l’issue du spectacle, il nous explique une chose rare et rarement expliquée : la genèse du titre et par là même la genèse du spectacle. De cet exposé, naît la question « lorsqu’on emporte une fenêtre avec soi, est-ce le paysage que l’on emporte aussi ? ». À notre insu est une invitation à regarder à la fenêtre pour y découvrir un paysage, le monde de Turak, où sont mêlées la finesse et la naïveté d’un univers aussi unique qu’onirique.
Tout part du témoignage de Lucien, qui très vite laisse place à l’intrigue, une succession de crimes, de petites explosions, dont le spectateur devra se faire l’enquêteur. Silencieux, tel un lecteur de roman d’Agatha Christie, le public devra mener intérieurement l’investigation, chercher, se perdre dans les informations et indices qui lui sont vraisemblablement laissés. Michel Laubu intervient ici entre chaque reconstitution pour non pas ramener le public dans le réel, mais pour l’inviter à mieux glisser sur le sens des mots, des illusions. À la manière d’un puzzle dont il faudrait découper les pièces pour en modifier l’image, les points de vue changent, les indices donnés reviennent et se mélangent. Tout cela pour mener finalement un peu partout sauf vers la résolution de cette mystérieuse affaire. Et qu’importe, le scénario semble être surtout prétexte à l’immersion dans un monde.
Un monde, la Turakie, fait de bric, de broc, d’objets triviaux du quotidien et d’assemblages inattendus : une veste en cuir constitue le corps d’un chat, un étrange individu à vélo mi-Pierrot, mi-prêtre affublé d’une robe en toile cirée, ou encore un personnage aux oreilles en couteau… Un univers subtil fait d’innombrables détails, que le public même le plus attentif peine parfois à déceler dans ses nombreux recoins. Les marionnettes, tout d’abord, sont à elles seules source de ravissement. Gueules cassées et attachantes, elles rappellent à certains égards les faciès singuliers des héros de l’auteur de bande dessinée Nicolas de Crécy. Ces êtres étranges évoquent de lointains portraits ancrés dans la mémoire de chacun : les petits gamins du quartier ou les vieux du village… Le jeu des marionnettistes est lui aussi marqué par une grande singularité : véritables comédiens, ils font corps avec les personnages qu’ils animent. Ce parti pris met en exergue le fait que la marionnette prend vie sous l’impulsion de celui qui la met en mouvement.
Le cadre, quant à lui, ne cesse de se transformer : des monticules de cartons s’ouvrent et donnent à voir dans leur intériorité des décors de cuisine, d’appartement, des machines à laver. On est étourdi par tous ces objets hétéroclites, assemblés de manière impromptue, quasiment surréaliste.
La musique, enfin, est le fruit de la création de Rodolphe Burger, connu pour être à l’origine du groupe Kat Onoma. Ici, ce sont les cuivres qui sont à l’honneur dans un répertoire de sonorités sombres à la manière d’un opéra noir. La bande-son est accompagnée de petits bruits, claquement de touches de machine à écrire et d’interprétations en direct des comédiens marionnettistes.
Le spectateur ressort d’une heure trente de spectacle avec un bon mal de dos, du fait des fauteuils des Subsistances. Mais il est surtout ravi, émerveillé par ce monde qui semble fonctionner dans toute sa cohérence en autarcie tel une île déserte. Michel Laubu montre une nouvelle fois son immense talent, celui d’avoir inventé un monde unique, attachant, et terriblement onirique. ¶
Élise Ternat
À notre insu, de Michel Laubu
Turak Théâtre • villa Neyrand • 39, rue Champvert • 69005 Lyon
www.turaktheatre.canalblog.com
Auteur, metteur en scène, scénographe : Michel Laubu, avec la complicité d’Émili Hufnagel
Interprètes :
- Acteurs : Laurent Bastide, Carlo Bondi, Henri Bruère‑Dawson, Jean‑Pierre Hollebecq ;
- Acteurs-musiciens : Frédéric Roudet, Laurent Vichard
Construction décors et personnages : Émeline Beaussier, Charly Frénéa, Lucie Basselet, Géraldine Bonneton
Composition musicale : Rodolphe Burger, avec la participation de Marco de Oliveira
Son : Frédéric Marolleau
Plateau : Olivier Philippo, Thimithy Marozzi / Charly Frénéa
Lumière : Delphine Perrin
Photos : © Turak Théâtre
Production : Turak Théâtre
Coproduction et résidence : Les Subsistances, Lyon, France
Les Nouvelles Subsistances • 8, quai Saint-Vincent • 69001 Lyon
Réservations : 04 78 39 10 02
Du 2 au 13 décembre 2008 (relâche les 7 et 8) à 20 heures
Durée : 1 h 15
12 € | 9 € | 6 €