Poils, totem et rock and roll !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Loin des lisses histoires pour enfants sages, « À poils » d’Alice Laloy nous invite à partager une expérience troublante : tendre et tribale à la fois. Une pépite pour petits punks…
À chaque spectacle, sa forme : à partir d’une idée forte, Alice Laloy bricole, expérimente un nouveau dispositif. Formée comme scénographe et costumière au T.N.S, elle revendique, en effet, une forme d’artisanat et travaille matières et sensations. Ainsi, chacun de ses spectacles explore un nouveau continent souvent déconcertant, toujours inimaginable.
C’est peut-être d’ailleurs ce qui explique l’importance de la création jeune public dans son œuvre : comme si ce théâtre-là permettait plus d’escapades. Comme si, moins pris dans les rets des mots, il créait avec le spectateur une intimité sensuelle, tout contre la peau, ou même, pour paraphraser le titre d’un des spectacles d’Alice Laloy, sous la peau. Ainsi, Y-es-tu ? interrogeait sans tabou la peur, Pinocchio (live) #2, abordera dans le In d’Avignon la transformation du vivant en matière inerte. Or, dans À poils, on retrouve ces dimensions : un rapport ludique à l’inquiétude et une expérimentation sensuelle autour des poils comme de la musique.
La rencontre pas fortuite du doudou et du flight case dans un espace de jeu inédit
Programmé par le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnettes dont Alice Laloy est artiste associée, le spectacle suscite des relations insolites dans une démarche proche du Dadaïsme, mouvement autour duquel la metteure en scène avait justement créé un Ça Dada jeune public très réussi. Les spectateurs sont, de fait, pris en main par des roadies, régisseurs plateau baraqués et mal peignés. Pas question de s’asseoir pépères et d’attendre sagement dans le noir aux creux des bras des parents ! Gentiment rudoyés, les jeunes spectateurs construisent l’espace de jeu, selon un plan qui fait autant penser à un tapis d’éveil qu’à un croquis de régisseur. Et peu à peu, par-delà l’apparence et sans doute l’appréhension d’être confrontés à des « grands » si hirsutes et si peu adultes, se conclut une sorte de pacte de tendresse.
Mais si Alice Laloy détricote ici la distinction entre l’ogre et l’enfant, le spectateur et l’acteur, elle abolit encore d’autres frontières : difficile d’établir, en effet, quand commence le spectacle ; impossible de suivre le fil d’une histoire. La dramaturgie est celle de l’élaboration d’un espace onirique qui laisse chacun libre d’inventer son conte. Serait-ce une histoire de monstres poilus, de yétis extraordinaires ou l’initiation à un rite exotique exécuté dans le cocon d’une étrange paillotte ? Le doute fait la richesse de cette expérience organisée autour d’un totem énigmatique. On ne vous en dira pas davantage tant le charme d’À poils tient aussi à ses surprises, mais sachez que la musique et la fête seront au rendez-vous.
Poursuivant sa réflexion sur l’étrange vie des objets, le pouvoir merveilleux de la métamorphose et le rôle des matières, Alice Laloy réussit donc encore une fois à renouveler les codes du spectacle jeune public, quitte à perdre en chemin quelques bambins effrayés. Mais ce faisant, elle questionne aussi les clichés que nous avons sur les mecs, les adultes, avec un humour factieux. Le cuir que portent des Laurel et Hardy d’un nouveau genre n’ôte rien à leur facétie et dissimule même de tendres secrets multicolores. Le spectacle invite à surmonter ses peurs et ses préjugés pour aller à leur rencontre. ¶
Laura Plas
À poils, d’Alice Laloy
Site de la Compagnie S’appelle Reviens
Écriture et mise en scène : Alice Laloy
Musique : Csaba Palotaï
Avec : Julien Joubert, Yann Nédélec, Dominique Renckel
Durée : 40 minutes
À partir de 6 ans
Salle Jacques Brel • 42, avenue Édouard Vaillant • 93500 Pantin
Mairie • 21, place du Panthéon • 75005 Paris
Le 30 juin à 10h30 et 15 heures, à la salle Jacques Brel de Pantin
Le 2 juillet à 14 heures et 18 heures, et le 3 juillet 2021 à16 heures à la Mairie du 5ème arrondissement de Paris
De 5 € à 18 €
Réservations : 05 55 00 98 36
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Ça Dada, d’Alice Laloy, Nouveau Théâtre de Montreuil, par Laura Plas
☛ Y es-tu ?, d’Alice Laloy, L’Arche à Bethoncourt, par Maud Sérusclat