34e festival du cirque actuel : focus 1
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Le cirque est souvent synonyme de prouesses. Sans renoncer aux exploits, deux spectacles vus dans le cadre du 34e festival du cirque actuel, font pourtant l’éloge du fiasco à partir de défis incroyables. Conçu comme une « battle », « A simple Space » met en scène la faiblesse avec maestria, tandis que « Der Lauf » laisse l’aléatoire prendre le dessus. Notre coup de cœur de ce début de festival.
Quelle bonne entrée en matière que d’entamer le festival avec ce cocktail d’énergie ! Les sept acrobates australiens virtuoses et téméraires de Gravity & other Myths réalisent des sauts, portés et équilibres époustouflants. Ces jeunes fort sympathiques correspondent aux clichés des circassiens anglo-saxons à la puissance phénoménale et au charme irrésistible. On les présente d’ailleurs comme le Cirque du Soleil australien. Rapides, fluides, ils osent tout, enchaînant avec une décontraction stupéfiante des séquences à hauts risques, portés par un musicien en direct.
Se surpasser, tel est effectivement l’objectif. Toutefois le culte de la compétitivité est mis à mal par des clins d’œil délicats. Bien que rondement mené, le spectacle laisse place à des respirations bienvenues, où les rivaux s’encouragent, où le gagnant n’écrase pas le plus faible et où l’échec est même fièrement assumé. Tout en cherchant à repousser sans cesse les limites, chacun est à sa place, au service du collectif, dans un tout petit espace. Sobre, la scénographie incite à l’échange avec le public. D’ailleurs, la troupe joue très bien de la proximité, même si l’enthousiasme a vite gagné l’ensemble de cette grande salle, bourrée à craquer de jeunes gonflés à bloc par cette débauche de figures originales et de corps musclés. Ici pas de maquillage, pas de décor. Juste des rampes d’éclairage que les acrobates eux-mêmes activent. Cette simplicité valorise la force brute et surtout l’effort, qu’il aboutisse – ou pas – à l’exploit. Un spectacle humain, généreux et revigorant.
Jeux de massacre
Le Cirque du Bout du Monde, aussi, lance des défis incroyables. À mi-chemin entre Intervilles et David Lynch, Der Lauf détonne. Coiffés d’un seau sur la tête, ces artistes réalisent une série d’expériences toutes aussi loufoques les unes que les autres : faire swinguer des assiettes au bout de tiges, élaborer un fragile édifice de briques et de verres avec des gants de boxe, tirer sur des ballons magiques… Ces courtes pièces de jonglerie revêtent la forme de jeux absurdes : une mise à mort ratée, une pyramide de fragilité, un drôle de combat, des cibles « é-mouvantes »… Toutefois, sous ses dehors légers, le spectacle est plus profond qu’il n’y paraît.
Du cinéaste américain, nous reconnaissons bien l’inquiétante étrangeté. Et le côté sombre ! Incités à participer, les spectateurs guident littéralement ces artistes qui œuvrent à tâtons. Mais qui change vraiment le cours des choses ? D’abord solidaire, le public est effectivement vite amené à se transformer en « lyncheur ». Manipulé, il se laisse ensuite volontiers aller à l’instinct grégaire. Baptiste Bizien et Guy Waerenburgh ne cassent pas toute cette vaisselle de façon gratuite : démontant les mécanismes de l’engrenage infernal de systèmes susceptibles de broyer l’humain, ils font en tout cas voler en éclat nos certitudes sur la bienveillance naturelle des gens.
Quelle violence que ce défouloir ! Toutefois, après nous avoir tenus en haleine, ces malins-là nous piègent pour mieux réconcilier les gens avec leur part sombre. Alors, quelle leçon tirer de ces exploits, et surtout de ces ratés ? « Notre intention est à l’opposé d’une vision déterministe du monde », affirme Guy Waerenburgh, initiateur du spectacle, « car nos plans sont toujours contrariés par une multitude de hasards et de micro-évènements ». Ce jongleur, philosophe de formation, s’est beaucoup questionné sur le cours des choses qu’un rien peut changer. Et, ici, il amène subtilement les gens à remettre en cause leur comportement. Un vrai chamboule-tout, ce spectacle ! On a beaucoup aimé. ¶
Léna Martinelli
A simple space, de Gravity & other Myths
Avec (en alternance) : Lachlan Binns, Jascha Boyce, Joanne Curry, Lachlan Harper, Mieke Lizotte, Simon McClure, Martin Schreiber, Jacob Randell, Lewie West, Elliot Zoerner
Musique : Elliot Zoerner
1 heure
Dès 6 ans
Salle du Mouzon, du 22 au 25 octobre
Tournée française ici
Der Lauf, du Cirque du Bout du Monde, en partenariat avec les Vélomanes Associés
Site de la cie ici
Avec : Guy Waerenburgh et Baptiste Bizien
Regard extérieur : Éric Longequel
Lumière : Julien Lanaud
1 heure
Dès 8 ans
Caserne Espagne, Les 22 et 23 octobre
Tournée française ici
Dans le cadre du 34e festival du cirque actuel, du 21 au 30 octobre 2021
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