Graines de citoyens
Premier volet d’un diptyque autour de la question des médias aujourd’hui, « Alerte Blaireau Dégâts » met en scène le monologue, intense, d’un jeune lanceur d’alerte sur Youtube et son combat pour sauver la forêt de son enfance. Avant sa programmation au Train Bleu, le spectacle, très réussi, a été découvert aux Tréteaux de France, auxquels La compagnie dans l’arbre, basée dans les Hauts-de-France, est associée depuis 2022.
Pendre le pouls de l’adolescence, cette compagnie en fait sa spécialité. Pauline Van Lancker et Simon Dusart interrogent l’intime, l’image de soi et le rapport aux autres. Déjà, Like Me soulignait importance et les travers des réseaux sociaux à cette période où la réputation compte plus que tout. Alerte Blaireau Dégâts poursuit cette thématique, en évoquant notre rapport à l’information, tout comme Cataclysme.
Gabin, devenu youtubeur (sous le pseudo Blaireau dégâts), nous raconte donc ici son histoire, celle de sa sœur (CléoDitTout), influenceuse mode très suivie, et leurs batailles afin de sauver une forêt vouée à la destruction à cause d’un projet d’autoroute. Voir expulsés les blaireaux cachés dans les arbres centenaires provoque un déclic : « Je vivais dans une bulle et elle vient d’éclater », témoigne le jeune homme. « Je crois qu’un autre monde est possible mais comment le faire advenir ? ».
Ce monologue nous plonge directement au cœur des préoccupations adolescentes d’aujourd’hui : l’urgence climatique, la menace sur le vivant, l’inaction des adultes, les sentiments mêlés de colère et d’impuissance, le besoin d’être entendu. Les réseaux sociaux, qui rythment leur quotidien, sont présentés comme une formidable caisse de résonance. La surexposition, le flot constant d’informations, les fake news, notre besoin de spectaculaire y sont toutefois subtilement dénoncés.
Tisser un lien avec les ados
Gwendoline Soublin signe les textes des deux volets. Au-delà d’une simple commande d’écriture, participe au travail préparatoire avec la compagnie, un processus original qui consiste à intégrer des groupes d’adolescents pour nourrir leurs créations. En prise directe avec eux, lors de résidences, à leur côté sur le terrain, là où ils ont de quoi dire ou faire, la compagnie est à l’écoute, enquête et récolte leurs paroles.
Beau travail, les mots claquent et les expressions font mouche, avec beaucoup de poésie : « Il y a deux ans vous m’auriez vu. Ni sourire bright. Ni eye contact. J’étais plutôt un zéro pixel. Un compte Discord, okay, pour parler avec les copains. Se donner rendez-vous à l’arrêt du car pour fumer des roulés, commenter les snap des potes restés chez eux. Faire chauffer leurs Tik Tok de nos vues. Mais rien de plus ».
Crier la vérité
On assiste alors à une initiation. Au sortir de l’adolescence, le héros se prend la réalité de son époque en pleine face. Dans ces conditions, comment exister au monde, surtout quand on est timide ? Quel sens donner à sa vie ?
En ce sens, Alerte Blaireau Dégâts est un conte moderne. Comment relèvera-t-il les épreuves ? Pas de fée, ici, pas de miracle, pas d’échappatoire. Tout repose sur l’engagement de chacun : « Prends ton courage à deux pieds… Rejoins l’Action Furieuse, le bien commun ». Construire une pensée, créer une communauté, informer autrement, l’aideront à grandir.
Éveil militant
Le dispositif scénographique circulaire implique le public : se faire prendre en selfie participe de l’expérience. La compagnie aime s’amuser avec les spectateurs en les invitant à interagir lors des représentations, souvent dans des lieux non dédiés afin de brouiller les pistes. Placer ceux-ci dans une certaine vigilance, permet de casser les codes du théâtre et les frontières entre le fictif et le réel. Pas d’artifice, pas d’effets, pas de noir : le spectacle se joue en lumière naturelle, dans un environnement brut.
Malgré le sujet, la mise en scène ne recourt pas à la vidéo. Elle s’appuie sur l’artisanat du théâtre d’objet. Quelques images suffisent à planter des graines dans notre esprit. Comme les deux langues spécifiques du texte – celle de la nature et des sensations du vivant ; le vocabulaire pointu et technique des réseaux – deux mondes antagonistes s’affrontent sur scène : les vrais troncs, des gravats et le tapis synthétique, quelques redlights (utilisés pour les vidéos sur TikTok). La représentation symbolique fonctionne parfaitement.
Au plus près, au centre de l’arène, Marius Ponnelle nous parle, exprime des sentiments mêlés, ses doutes, ses rêves : « Je veux agir. Je peux agir. » Très bien rythmé, interprété remarquablement, ce spectacle tout public parle à tous. Puissant, inspirant, il est porteur d’espoir. 🔴
Léna Martinelli
Alerte Blaireau Dégâts, de Gwendoline Soublin
La Cie dans l’arbre
Mise en scène : Pauline Van Lancker
Avec : Marius Ponnelle
Durée : 50 mn (1 h 40 trajet compris)
Dès 13 ans
La Maif • Ttb • 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 3 au 21 juillet 2024 (sauf les 8 et 15), à 10 heures
De 10 € à 20 €
Réservations : en ligne • au 06 51 04 29 53 et 06 12 47 67 07
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
Spectacle bénéficiant du dispositif les Hauts de France à Avignon
Tournée ici :
• Du 16 au 18 août, dans le cadre de L’Île-de-France fête le théâtre, 8e édition orchestrée par les Tréteaux de France, sur l’île-de-loisirs de Cergy-Pontoise (95)
• Du 24 au 27 août, dans le cadre de L’Île-de-France fête le théâtre, Île-de-loisirs du Val-de-Seine (78)
Spectacle vu aux Tréteaux de France CDN, à Aubervilliers (93)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Like Me », de Léonore Confino, par Léna Martinelli
Photos © Kalimba
