Un petit nid de haine
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Baptiste Guiton monte « Après la fin », une œuvre du dramaturge britannique Dennis Kelly datant de 2005. Elle met en scène une suite de situations tragi-comiques pour deux personnages enfermés dans un bunker, après un attentat nucléaire.
Mark, jeune homme complexé et ombrageux, réussit à sauver Louise, une amie séduisante et farouche, en l’entraînant dans l’abri sécurisé situé au fond de son jardin. Un peu d’eau, des boîtes de conserves constituent les seules ressources dont ils disposent pour tenir quelques jours. Une fois passé le soulagement d’avoir échappé à la mort, leurs relations se tendent. Mark, le sauveur, se transforme en tortionnaire. Louise, la rescapée, résiste à son pouvoir. De séquence en séquence, leurs relations dégénèrent et, tour à tour, ils investissent le statut de maître ou d’esclave. Comme deux fauves en cage, ils se livrent à un combat sans merci engendré par la peur. Leur humanité se délite, le désir de supprimer l’autre les envahit, leurs instincts les plus primitifs les débordent.
Pendant plus d’une heure, leur combat pour survivre tient en haleine le spectateur, conjuguant magistralement humour noir et tragédie existentielle. Et puis, soudain, dans le dernier quart d’heure, tout s’effondre. La pièce se prolonge inutilement par des scènes didactiques dans lesquelles l’auteur essaie de convaincre le public que toute cette histoire n’est peut-être qu’un mensonge. C’est lourd et frustrant, car chacun se trouve dépouillé de ce qui faisait la puissance de cette pièce, à savoir la possibilité de ne pas confondre la vérité avec la réalité. Authentique apocalypse post-atomique ? Séquestration volontaire accomplie par un amoureux frustré ? Psychoses partagées de deux êtres à la dérive ? Dommage, Dennis Kelly, que vous ayez à ce point douté de l’intelligence de vos auditeurs pour leur faire la leçon.
L’énergie du désespoir
Malgré le faux-pas final de l’écriture, reste la qualité du travail de mise en scène de Baptiste Guiton. Son intérêt affiché pour les textes contemporains mérite d’être souligné. Il en résulte un théâtre engagé faisant la part belle aux acteurs. La sobriété de la scénographie, des éclairages et de la création sonore laisse le champ libre aux mots et aux corps. Après la fin, servi par l’énergie désespérée de ses deux interprètes, est à juste titre, comme l’écrit le metteur en scène : « un théâtre à l’os ». Tiphaine Rabaud Fournier (Louise) et Thomas Rortais (Mark), véritables écorchés vifs, déclinent brillamment les violences physiques et psychiques de leurs personnages. Tantôt méprisables et cruels, tantôt touchants d’impuissance, ils accouchent sans pudeur de la part monstrueuse qui se cache au fond de tout être humain.
En 1970, Georges Michel, horloger, romancier et auteur dramatique, publie Un petit nid d’amour, une fable ironique et violente mettant en jeu un couple qui s’enferme dans un bunker après une explosion atomique. À lire par toute l’équipe d’Après la fin. Ceci est un conseil fraternel. Bien à vous tous. ¶
Michel Dieuaide
Après la fin, de Dennis Kelly
La pièce est publiée et représentée par les éditions de L’Arche
Texte français : Pearl Manifold et Olivier Werner
Mise en scène : Baptiste Guiton
Avec : Tiphaine Rabaud Fournier et Thomas Rortais
Scénographie et accessoires : Quentin Lugnier
Lumières et régie générale : Julien Louisgrand
Création sonore : Sébastien Quencez
Costumes et accessoires : Aude Desigaux
Régie son : Sylvain Fayot
Assistanat à la mise en scène : Juliette Donner
Production : Le Théâtre Exalté
Coproduction : La Machinerie-Théâtre de Vénissieux
Théâtre national populaire • 8,place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex
Réservations : 04 78 03 30 00
Du 29 janvier au 21 février 2019
Du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 heures
De 14 € à 25 €