L’amour
des commencements
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Thomas Jolly aime les défis. Après avoir monté une version intégrale du « Henry VI » de Shakespeare (dix-huit heures, quand même !), il met en scène avec un brio teinté de fantaisie une des toutes premières pièces de Marivaux, « Arlequin poli par l’amour », écrite par l’auteur pour les comédiens italiens qu’il venait de découvrir.
Arlequin poli par l’amour est un conte de fées très court, en un acte, écrit en prose. Inutile donc d’y rechercher la belle langue classique de Marivaux, qui écrit ici pour des acteurs dont il apprécie le jeu, mais qui parlent un français plus que sommaire. L’intérêt de la pièce est donc ailleurs, dans ce qu’elle permet sur le plateau.
L’intrigue est toute simple : une fée très autoritaire tombe par hasard sous le charme de la grande beauté d’un jeune berger. Elle l’enlève et entreprend de le séduire, mais se heurte dans cette entreprise à plusieurs difficultés de taille : le jeune homme est d’une simplicité toute rustique et pour tout dire mal dégrossi. Les efforts déployés par la fée qui lui donne sérénades, ballets et autres amusements tombent à plat : rien ne semble retenir l’attention d’Arlequin. Mais le plus grave est ailleurs : juste avant son rapt, il a vu Sylvia, jeune bergère qui lui a ravi l’âme. La fée va donc déployer différents stratagèmes pour séparer les deux tourtereaux et s’attirer les regards d’Arlequin. En vain : l’amour ne se commande pas…
Cette comédie champêtre renferme un condensé des thèmes que Marivaux déploiera ensuite dans ses pièces célèbres : le coup de foudre qui vous vient par le regard auquel nul ne résiste, la jalousie, le désir de posséder l’autre, le goût de la manipulation…
Un grand bol d’air !
Thomas Jolly va se contenter des ressources, modestes, des premiers comédiens de la commedia dell’arte, mais il les utilise toutes et fort bien. À commencer par l’intrigue, qu’il mène pour ce qu’elle est, tambour battant : le rythme est rapide, effréné, entre les jeunes amoureux pressés de se toucher et de s’embrasser, la fée impatiente d’être obéie (et tout de suite !), les coups de baguette magique qui évitent les contraintes de la vraisemblance. Du coup, Trivelin qui, en bon serviteur, était tout dévoué à sa maîtresse la fée, va la trahir parce que, subitement, il lui devient intolérable qu’elle rompe ainsi la parole autrefois donnée à Merlin. Le voici subitement transformé en allié des amoureux, à qui il offre une happy end… Mais le metteur en scène va, en bon lecteur de Marivaux, insuffler un doute, lever une ambiguïté : trop aimé, le jeune Arlequin à qui l’amour a donné de l’esprit, attrape le goût du pouvoir et prend de grands airs qui déplaisent fort à Sylvia… Refrain connu !
Autre atout de la commedia dell’arte : les comédiens. Et Thomas Jolly, outre qu’il dispose d’une troupe jeune, enthousiaste, cohérente, sait les diriger. Il faut bien du talent pour mener si promptement une troupe de jeunes acteurs qui courent et dansent et poussent la chansonnette, sans oublier de faire rire leur public.
Enfin, il sait faire feu de tout bois et créer de la féerie avec trois fois rien : quelques guirlandes, des ampoules qui se balancent au bout de leur fil, mais avec quelle maestria elles bougent, ces lumières ! On dirait qu’elles sont animées comme des lucioles, on se croirait parfois dans Songe d’une nuit d’été… C’est encore Thomas Jolly qu’on trouve aux lumières en compagnie de Jean‑François Lelong qui s’occupe aussi de la régie. Tout le monde est homme-orchestre dans cette troupe, tout le monde sait tout faire, et bien, et joyeusement. Car s’il ne restait qu’une impression de spectateur, ce serait celle-ci : on apprécie dans cette jeune pièce sa vigueur, sa fraîcheur, sa spontanéité, sa gaieté. Un spectacle qui fait du bien ! ¶
Trina Mounier
Arlequin poli par l’amour, de Marivaux
Scénographie et mise en scène : Thomas Jolly
Avec Julie Bouriche, Romain Brosseau, Rémi Dessenoix, Charlotte Ravinet, Taya Skorokhodova, Romain Tamisier
Lumières : Jean-François Lelong, Thomas Jolly
Création costumes : Jane Avezou
Régie générale : Jean-François Lelong
Régie son et plateau : Matthieu Ponchelle et Jérôme Hardouin
Régie costumes : Jane Avezou
Photos du spectacle : © Arnaud Bertereau
Production : Cie La Piccola Familia
Coproduction : C.D.R. de Haute-Normandie – Théâtre des Deux-Rives / Avec le soutien de l’O.D.I.A. Normandie (Office de diffusion et d’information artistique de Normandie) / Ce spectacle bénéficie d’une aide à la production du ministère de la Culture et de la Communication-D.R.A.C. Haute-Normandie
La Piccola Familia est conventionnée par la D.R.A.C. Haute-Normandie, la région Haute-Normandie, la ville de Rouen et le conseil général de Seine-Maritime
Théâtre de la Renaissance • 7, rue Orsel • 69600 Oullins
04 72 39 74 91
Du 31 mars au 3 avril 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 20
Tarifs : de 6 € à 22 €
Tournée :
Du 7 au 11 avril 2015 : Théâtre national de Bretagne – Rennes
Le 16 avril 2015 : MITEM Festival – Budapest – Hongrie
Du 28 avril au 29 mai, tournée départementale en Ille-et-Vilaine, organisée par le Théâtre national de Bretagne à Rennes