Artémis vulgarisée
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Le périple d’une péripatéticienne de haut vol, de chef d’État en dictateur, au son de France Info, à la recherche du point de jonction entre sexe, désir et pouvoir. Tel est le propos de Marine Bachelot, dans sa nouvelle pièce. Mais cette quête a-t-elle un sens ?
Depuis la première d’Artemisia vulgaris, créée à la Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc en 2004, le projet a connu plusieurs aventures. Voici Artemisia vulgaris II, écrite spécialement pour le festival Mettre en scène 2008.
La scène est fermée par un entrelacs de branches de sapin, qui pourraient figurer un horizon de palmiers. Çà et là, par groupes, des bocaux à conserve, des formes, couleur de terre, qui pourraient évoquer des îles. Au fond, devant le rideau sylvestre, une table métallique, échappée d’une cantine ou d’un hôpital, est surmontée d’une espèce de parabole qui se révélera être un ballon de baudruche, symbole de notre planète et, accessoirement, support à projection. À côté de ce ballon, on aperçoit un récepteur de radio. Disséminés sur le plateau, d’énormes pantalons d’homme et un veston, grotesques, tiennent debout tout seuls.
France Info diffuse les informations du jour, une actrice arpente le plateau : le spectacle a commencé. Un homme et une femme déclament alternativement le compte rendu d’un examen de laboratoire : il s’agit du frottis vaginal subi par l’Artémis moderne. Il en ressort que la jeune personne se porte bien et « qu’aucune mesure particulière n’est à prévoir ». Elle en conclut qu’elle est « pure » et peut se lancer dans son tour du monde, avec une prédilection pour les « zones de jonction ».
Il convient, ici, de rappeler au lecteur oublieux de ses humanités classiques que l’Artémis des Grecs, plus complexe que la Diane chasseresse des Romains, est la déesse des confins. Elle se situe entre la cité et l’espace naturel, boisé ou montagneux, entre le civilisé et le sauvage. C’est sous son égide, comme l’ont bien montré les études de l’historien Pierre Brulé sur le culte qui lui est rendu à Brauron, que s’effectue le rituel de « désensauvagement », qui fait passer la fillette prépubère au statut de jeune fille nubile.
Nous suivons donc Émeline Frémont, cette hétaïre fort prisée des grands de ce monde, de continent en continent, de capitale en capitale. Là, toujours dans des lieux de passage (hall d’aérogare, toilettes d’un grand hôtel, ascenseur, compartiment de train…), elle rencontre Silvio, Tony, Saddam, George, Nicolas, Vladimir, etc. Deux récitants, sortes de coryphées, Claire Péron et Stéphane Piveteau, déroulent le fil de l’action. L’héroïne détaille le contexte matériel de l’étreinte. De courtes projections vidéo permettent à un chœur de comédiens de gloser l’histoire.
Le texte, qui affiche une forte propension pour le style formulaire, est souvent agréable à entendre. Les trois comédiens le servent admirablement. La mise en scène et l’éclairage composent des scènes qui sont parfois d’une grande beauté esthétique. Je pense en particulier au corps nu d’Émeline Frémont se glissant furtivement derrière le rideau en branches de sapin : sa silhouette, à la fois féminine et féline, évoque bien le monde d’Artémis.
Je suis plus réservé sur le propos de Marine Bachelot. Elle pose comme hypothèse que l’appétit sexuel des hommes politiques n’est que la traduction d’une pornographie politique plus profonde, la volonté de « destruction politique des corps », que traduiraient les guerres, les répressions, mais aussi toutes les formes modernes de fragilisation des citoyens. Cette thèse est un postulat que l’auteur n’examine jamais. Du coup, beaucoup d’affirmations, tirées d’une sorte de vulgate de la « bien-pensance », apparaissent surtout comme des poncifs. Les fantasmes, complaisamment exposés, des hommes politiques pourraient bien n’être que ceux de l’auteur. Enfin, tout le passage où la nouvelle Artémis, chimiste et cuisinière, campe un personnage de « femme-Christ », avatar de la Grande Déesse, Grande Mère ou Grande Prostituée, s’apparente plus à un galimatias idéologique qu’à un nouveau discours politique. Je crains fort que la pièce n’illustre une fois de plus le propos de Gide observant que les bons sentiments font rarement de la bonne littérature. ¶
Jean-François Picaut
Artemisia vulgaris II, de Marine Bachelot
Politique-fiction
Texte et mise en scène : Marine Bachelot
Avec : Émeline Frémont, Claire Péron, Stéphane Piveteau
Et la participation en vidéo de : Faye Atanassova‑Gatteau, Camilla Bailbe, Gweltaz Chauviré, Arnaud Godest, Véronique Guerch, Laura Hamidou, Gabrielle Jarrier, Nadia Karim, Cécile Le Claire, Jean‑François Lyvinec, Lucie Monvoisin, Danielle Morel‑Aubry, Emmanuel Moriot, Morien Nolot, Auriane Oguet, François Oguet, Françoise Radin, Geneviève Tabutaud, Aristide Tarnagda, Marie‑Claude Tézenas
Scénographie : Bénédicte Jolys
Vidéo : Julie Pareau
Photographie : © Caroline Ablain
Lumière : Arnaud Godest
Régie générale : Nicolas Marc
Diffusion : Gabrielle Jarrier
Gestion administrative : Sonia Rolland
Coproduction : Lumière d’août, compagnie théâtrale et collectif d’auteurs, Rennes | Théâtre national de Bretagne, Rennes | Théâtre de Folle-Pensée, compagnie conventionnée, Saint-Brieuc
Soutiens : théâtre la Paillette, Rennes | Théâtre du Cercle, Rennes | Théâtre de Poche, Hédé
Avec l’aide à la création du Centre national du théâtre
Remerciements : Vincent Lemeur, Vincent Gadras et la Cie François‑Verret, Olivier Durant, Philippe Groult et Brigitte Paillard, Hiên Bachelot, Olivier Pasquet et Lagadec Paysage, et toute l’équipe de la Paillette
Remerciements à tous les autres membres de Lumière d’août
Avec l’aide de toute l’équipe du Théâtre national de Bretagne, centre européen théâtral et chorégraphique
La Paillette • rue Pré-de-Bris • 35000 Rennes
09 54 21 84 22
Billetterie : 02 99 31 12 31
Mardi 11 novembre 2008 à 19 heures, mercredi 12 novembre 2008 à 19 heures, jeudi 13 novembre 2008 à 19 heures, vendredi 14 novembre 2008 à 19 heures, samedi 15 novembre 2008 à 19 heures
Durée : 1 h 20
Entrée : 5 €