« Au pied du mur sans porte », de Lazare, l’Échangeur à Bagnolet

Au pied du mur sans porte © Cie Vita nova

« Prendre le risque de tout faire éclater »

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Il fallait bien une salle aux allures de hangar, vaste et dépouillée, pour que se déchaîne une nouvelle fois la Cie Vita nova. « Au pied du mur sans porte », nouvelle création de l’écrivain metteur en scène Lazare, s’inscrit dans le sillage de « Passé-je ne sais où, qui revient », le spectacle présenté l’an passé au festival Impatiences de l’Odéon. On en retient pourtant surtout les ruptures et l’(es) éclat(s).

Que les murs tombent, parois glissantes des vies inéluctables ! Que les murs tombent ! Mais ce n’est pas possible pour Libellule. De fait, dans Passé-je ne sais où, qui revient Libellule était comédien. Or, à le retrouver à la maternelle, on ne lui imagine pas un avenir de théâtre. Pas d’avenir, plutôt : ça commence en petite section par un « retard d’école », ça se poursuit par la dope. Aucun miracle ne se produit, même si, forme d’ironie tragique, on ne cesse justement de prononcer le mot miracle pendant une heure et demie.

Pour que les murs tombent, il faut donc les dynamiter. Ce que propose Au pied du mur sans porte, c’est cette déflagration dont on sent le souffle et dont on peut être agacé ou ravi. Pas de répit. À peine entré dans la salle, et la langue te happe et tu ne comprends rien. C’est de l’allemand, ce sont des histoires étranges de renard, ça parle à deux et ça te parle. Pas la peine d’espérer la pause qui te permettra de mettre de l’ordre dans ta tête. Rarement l’action se concentre sur un lieu du plateau, rarement la langue n’est proférée que par une voix, sur un seul mode. Malaxée, brutalisée, psalmodiée ou chantée, elle investit le corps des comédiens, mais vit sa vie. D’ailleurs, les moments où la voix seule s’offre une confidence face au public en prennent d’autant plus de valeur. On aurait aimé que Lazare leur donne encore plus de place.

Cette mère qui trébuche sur les mots comme elle titube dans la vie

L’an passé, lors du festival Impatiences, on avait été saisi par cette langue qui révélait, selon la juste expression de Claude Régy (ancien professeur de Lazare), une « métaphysique analphabète ». Au creux de l’oreille, mais pas très loin du cœur, on avait en particulier conservé les mots de la mère de Libellule, celle qu’on nommait aussi « l’Illettrée ». On retrouve ici cette mère qui trébuche sur les mots comme elle titube dans la vie. On la retrouve, mais pas assez à notre goût. Car, quand elle dit son quotidien (des histoires de patrons, de bottes de pluie ou de jumeaux imaginaires mais réels), la pièce sonne juste. C’est là, plus que dans des situations et dans des discours parfois moins convaincants, que Lazare est fort, et parvient à dire les portes qui n’existent pas. C’est dans la langue, par exemple, qu’il épingle avec une générosité véritable pour ses cibles une école qui « ne dit pas je suis un miracle », mais qui le pense tellement fort que ça court au bout des doigts de Mme la directrice.

La langue dit tout, et les comédiens lui donnent une saveur singulière. On mentionnera la prestation de Yohann Pisiou, dont les yeux, les mimiques et le visage sont étonnants (car tout est bon dans le…), mais ils sont tous par moments remarquables. L’histoire de Libellule et de sa mère est de fait aussi l’histoire d’une troupe que l’on sent soudée, rodée à une pratique collective du plateau. Chacun joue sa partition avec sa petite musique particulière.

De quelle musique s’agit-il ?

On ne s’étonnera donc pas de les voir partager la scène avec des musiciens, de voir ceux-ci devenir comédiens (et vice et versa). De quelle musique s’agit-il ? Quelque chose qui aurait à voir avec le slam, avec la si belle chanson pas chantée de Loïc Lantoine, avec une musique improvisée aussi. Et cette musique-là est bien plus intéressante que celle qui est parfois proposée en accompagnement.

Espace éclaté, temps éclaté, fable éclatée. Débarrassé de la logique et du naturalisme, on y gagne. On y perd un peu parfois quand on a l’impression que le tournoiement pourrait ne jamais s’arrêter et que le spectacle peine à trouver une fin. Il reste que les éclats du texte et de la scène valent mille fois les imperfections. « Quand tout nous enferme dans une coquille », comme le dit un personnage d’Au pied du mur sans porte, il faut peut-être prendre le risque de tout faire éclater. 

Laura Plas


Au pied du mur sans porte, de Lazare

Texte édité aux éditions Voix navigables, 82 pages, 10 × 18 cm, 10 €, I.S.B.N. : 978‑2‑913768‑14‑7

Cie Vita nova

http://www.cie-vitanova.com/

Mise en scène : Lazare

Avec : Anne Baudoux, Julien Lacroix, Mourad Musset, Calire‑Monique Scherer, Claude Merlin, Yohann Pisiou

Et les musiciens : Benjamin Colin, Franck Williams

Composition sonore : Benjamin Colin, Franck Williams

Création lumière : Bruno Brinas

Conseil chorégraphique et assistanat : Marion Faure

Conseil scénographique : Marguerite Bordat

Organisation générale : Anne Baudoux

Photo : © Cie Vita nova

Diffusion : Daniel Migairou

Administration : Aurélien Guillois (bureau FormArt)

Coproduction Vita nova, Studio-Théâtre de Vitry, la Fonderie au Mans

Coréalisation l’Échangeur/Cie Public chéri avec l’aide de Beaumarchais / S.A.C.D. et de la Spedidam

L’Échangeur • 59, avenue du Général-de-Gaulle • 93170 Bagnolet

Site du théâtre : www.lechangeur.org

Réservations : 01 43 62 71 20

Métro : Gallieni (à 150 m en sortant à droite)

Du 6 au 22 janvier 2011 à 20 h 30, dimanche à 17 heures, relâche le mercredi

Durée : 1 h 50

13 € | 10 € | 7 €

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