Mémoire vive
Par Élise Ternat
Les Trois Coups
Remarquable meneuse de revue dans « Gardenia » d’Alain Platel, l’artiste transsexuelle belge Vanessa Van Durme interprète un tout autre registre dans « Avant que j’oublie », texte drôle et déchirant dont elle est l’auteur. Avec ce monologue à la mise en scène épurée signée Richard Brunel, la comédienne nous livre un poignant moment de vie.
C’est un rideau blanc qui habille et délimite la scène du Théâtre de la Renaissance, devenue ici chambre d’hôpital, à moins qu’il ne s’agisse d’une maison de retraite. À travers celui-ci se découpe peu à peu la silhouette longue et imposante d’une femme. Face à nous, son corps semble fatigué et ses yeux comme déjà noyés dans le vide de l’oubli. « Il faut perdre la mémoire ne serait-ce que par bribes pour se rendre compte que cette mémoire est ce qui fait toute notre vie » dit le metteur en scène Richard Brunel à propos d’Avant que j’oublie. En effet, dans cette pièce autobiographique au titre évocateur, Vanessa Van Durme nous conte la vie d’une femme, sa mère en l’occurrence, atteinte de la maladie d’Alzheimer. L’auteur et comédienne emmène le spectateur là où la mémoire délitée n’est plus que fragments. Se dessine alors un combat singulier, une tentative de retrouvailles entre une mère et son enfant, comme l’ébauche possible d’un pardon et d’une rédemption sur fond de sénilité.
Un jeu double : pudique, drôle et empreint de sincérité
Bien que seule en scène, Vanessa Van Durme se fait double. Tout au long de la pièce qu’elle porte à bout de bras, la comédienne oscille sans cesse entre le rôle de la fille devenue femme indépendante, comédienne à la ville, et le rôle de la mère, balance entre rares bouffées de lucidité et longues plages de régression infantile. En funambule, elle sait aller de l’une à l’autre au moyen d’une mimique, d’une expression ou d’un détail vestimentaire. Son immense talent n’a d’égal que la précision millimétrée de son jeu pudique mais empreint de sincérité. Le texte peut également être drôle via de nombreux moments cocasses, comme un moyen pour rire de nous-mêmes et de nos propres peurs. Cette douce et triste folie qui va jusqu’à la confusion des objets et leur fonction (ici des livres utilisés en guise de chaussures), Vanessa Van Durme en maîtrise les moindres aspects.
Quant à la mise en scène de Richard Brunel, elle sonne, elle aussi, parfaitement juste. La sobriété de la chambre d’hôpital prend parfois, au moyen de quelques parcimonieux éclairages, les allures festives d’un plateau de cabaret. Le choix des éléments, leur emploi judicieux préserve la dimension intimiste du discours. L’usage de rideaux, par exemple, pour leur côté vaporeux et leur transparence permettant mise à distance et rapprochement, est là encore tout à fait bienvenu.
C’est un texte bouleversant que celui d’Avant que j’oublie et ce, bien au-delà de l’émotion que suscite son propos. Sa mise en scène, véritable ode à la mémoire perdue, résonne comme un dialogue pour la vie qui nous attrape et ne nous lâche plus. ¶
Élise Ternat
Avant que j’oublie, de Vanessa Van Durme
Le texte d’Avant que j’oublie suivi de Regarde maman, je danse ! est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs
Texte : Vanessa Van Durme, incluant des extraits de Je suis perdue de Geneviève Peigné
Mise en scène et adaptation : Richard Brunel
Collaboration artistique : Griet Debacker
Avec : Vanessa Van Durme
Costumes et scénographie : Benjamin Moreau
Son : Michaël Selam
Lumières : Kevin Briard
Régie générale : Sylvain Brunat
Régie son : Guillaume Gratesol
Régie plateau : Gerrit Becker
Photo : © Jean-Louis Fernandez
Production déléguée : La Comédie de Valence, C.D.N. Drôme-Ardèche
Coproduction : Théâtre d’Esch-Luxembourg
Diffusion : Frans Brood Production et La Comédie de Valence, C.D.N. Drôme-Ardèche
Théâtre de la Renaissance-Oullins-Grand Lyon • 7 rue Orsel • 69600 Oullins
Réservations : 04 72 39 74 91
Site du théâtre : www.larenaissance.com
Du 20 au 22 janvier 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 15
22 € | 13 € | 9 € | 6 €