Pure beauté plastique
Par Pascale Ratovonony
Les Trois Coups
Le ballet Preljocaj propose trois pièces à la dégustation du spectateur : « Annonciation » ou le dialogue imaginaire de la Vierge et de l’Ange, ici, les somptueuses Virginie Caussin et Zaratiana Randrianantenaina ; « Centaures », corps à corps poétique et burlesque de deux de ces créatures mythiques (Yang Wang et Thomas Michaux) ; « Eldorado » enfin, ou comment l’ensemble de la troupe donne forme aux rythmes abstrus de Stockhausen. Ces trois moments dansés sont servis par une exécution millimétrée qui déploie la beauté des corps, véritables architectures de chair. On regrettera pourtant que ces anatomies sculptées ne soient porteuses d’aucun sens, sinon celui de leur propre perfection.
L’art d’Angelin Preljocaj est de maintenir un équilibre constant entre classicisme et expérimentation contemporaine. Il emploie ainsi un vocabulaire gestuel indéniablement hérité des maîtres du ballet dit « académique », de Petipa à Noureev : pliés, arabesques, portés et jetés sont exécutés avec une netteté virtuose, la posture des danseurs est fidèle à la rhétorique française de l’en-dehors caractérisée par l’ouverture et le brio.
Preljocaj réinterprète néanmoins cette terminologie classique par un ensemble de ruptures qui introduisent une réelle subversion. Formellement, son style rompt avec les exigences de fluidité et d’harmonie en privilégiant les heurts et cassures de rythme. Des gestes issus de la vie quotidienne ou des jeux enfantins viennent s’insérer entre deux figures ; bien que stylisés, ils créent un effet de décalage. Décalage également, les pas ne sont plus répartis selon des critères de genre : aux danseurs la souplesse (écarts), aux danseuses la force (portés).
Ce écart est au service d’une relecture de mythes fondateurs de l’Occident : l’Ange apparaît à la Vierge en un long enlacement sensuel ; les deux Centaures sont prisonniers d’une gémellité qui les embarrasse. Ce symbolisme, même s’il n’est pas thématisé dans Eldorado, lui sert néanmoins de socle, comme l’attestent les décors floraux dans lesquels les danseurs se confondent.
L’évidente perfection formelle, devant laquelle la salle est muette d’admiration, peut cependant se révéler aussi décevante qu’un poème de Mallarmé ou de Leconte de Lisle. Les amateurs d’hermétisme et de pure plasticité apprécieront. Ceux qui cherchent du sens iront plutôt applaudir Maguy Marin. ¶
Pascale Ratovonony
Annonciation (1995), Centaures (1998), Eldorado (Sonntags Abschied – création) d’Angelin Preljocaj
Ballet Preljocaj, Centre chorégraphique national
Annonciation
Chorégraphie et scénographie : Angelin Preljocaj
Avec : Virginie Caussin, Zaratiana Randrianantenaina / Céline Galli, Nagisa Shirai (en alternance)
Musique : Stéphane Roy, Crystal Music ; Vivaldi, Magnificat
Interprétée par l’Ensemble international de Lausanne, direction Michel Corboz
Lumières : Jacques Chatelet
Costumes : Nathalie Sanson
Centaure
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Avec : Yang Wang et Thomas Michaux
Musique : György Ligeti
Costumes : Caroline Anteski
Eldorado
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Avec : Virginie Caussin, Damien Chevron, Craig Dawson, Davide Di Pretoro, Caroline Finn, Céline Galli, Thomas Michaux, Lorena O’Neill, Zaratiana Randrianantenaina, Nagisa Shirai, Julien Thibault, Yang Wang
Musique : Karlheinz Stockhausen
Scénographie et costumes : Nicole Tran Ba‑vang
Réalisation costumes : Martine Hayer, Claudine Duranti et Ondine Besset‑Loustau
Lumières : Cécile Giovansili et Angelin Preljocaj
Photos : © J.‑C. Carbonne
Théâtre de la Ville • 2, place du Châtelet • 75004 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
Du 26 février au 8 mars 2008 à 20 h 30
Durée : 1 h 45 avec entracte
26 € | 16,5 € | 13,50 €