Un coup de rouge salutaire
Par Lise Facchin
Les Trois Coups
Ça a commencé comme ça : un homme en uniforme de police m’a pris mon billet à l’entrée du Théâtre de la Poulie. Une fois scrutée ma carte du Off, d’un geste de sa matraque il m’a fait signe d’entrer. La salle était sombre, petite et comble. Après… je ne sais plus très bien. L’assassinat d’un flic, une idée, une barricade, un banquet, des livres, Led Zeppelin, Auguste Blanqui, l’Histoire, un château Petrus, un amour fou… et ma démarche légère comme un vers de García Lorca en sortant du spectacle, un grand sourire brandi en travers du visage et du cœur.
Ils sont cinq, ils « suivent la trajectoire » de la vie active, de l’aliénation par le travail au profit du « grand capital », mais parfois, ils dérapent. Ils se posent des questions, ils doutent, ou cherchent, voire ils rejettent carrément. C’est là qu’arrive l’agent sécuritaire pour leur rappeler à coups de terreur et de répression que, dans leur intérêt, ils doivent gentiment rester dans leurs ornières. La dissidence est frappée. On rentre dans les rangs.
C’est alors qu’arrive Misocrate, personnage entre le mythe grec et le conte. Sorte de farfadet philosophe, anarchiste passionné, entre le professeur de philosophie et le gitan de la cour des Miracles, à mi-chemin entre l’érudit et le flibustier. Immédiatement, l’agent tente de le faire taire, et cogne. On sort des rangs, on vient à l’aide. L’agent se retourne, tape plus fort. Alors, on sort encore des rangs et on vole l’arme à la cuisse de l’agent. On s’en sert. Il est mort.
« Et maintenant, qu’est‑ce qu’on fait ? » lance Misocrate. C’est toute la question. Soit la prison, soit la résistance. « Et si on faisait une barricade ? » C’est l’histoire de l’apprentissage de la liberté par la culture politique, par l’instruction. Souviens-toi, tu as le droit d’être autre.
Comme il est bon, l’art engagé ! Comme il est beau lorsqu’il se met en danger, qu’il engage son essence ! Il nous rappelle que c’est pour cela qu’on l’aime si fort et si tendrement : pour le courage qu’il sait nous insuffler, pour sa fierté de dire, pour un devoir d’insurrection qui n’a pas besoin d’être inscrit dans aucune constitution !
Mange ton flic et rappelle‑toi des possibles. C’est le message, abreuvé à la source d’auteurs comme Foucault, Deleuze, Walter Benjamin, Marx, Auguste Blanqui, qui semble être le fond de ce spectacle aussi brillant dans la mise en scène explosive de François Bourcier que dans le texte d’Alain Guyard, incisif, drôle et accessible à tous sans condescendance.
Les comédiens sont bourrés de talent, énergiques, mais une chose m’a frappée : aucune personnalité ne se dégage du groupe. Tous jouant ensemble, d’un niveau égal et harmonieux, notre attention de spectateur ne se focalise pas. Elle voyage. Elle papillonne, attrapant du plaisir à chaque réplique. Pourquoi donc est‑ce inquiétant ?, me direz-vous. Eh bien parce que si je m’en suis rendu compte, c’est que ça doit être rare ! Voilà qui est inquiétant. ¶
Lise Facchin
Barricades !, d’Alain Guyard
Cie L’Air de rien • 1, promenade Venezia • 78000 Versailles
06 64 82 02 40
Mise en scène : François Bourcier
Avec : Jean‑Hugues Courtassol, Jean‑Matthieu Hulin, Matthieu Hornuss, Lucie Jousse, Flora Kaprielan, Anaïs Labbé, Sarah Lambert, Jacques Trin
Scénographie : François Bourcier
Assistantes : Christine Beauvallet, Nathalie Moreau, Anaïs Labbé
Chorégraphies : Nathalie Lefevre
Théâtre de la Poulie • 23, rue Noël‑Biret • 84000 Avignon
Réservations : 09 53 45 74 07
Du 8 au 31 juillet 2009 à 21 h 40, relâche le 16 juillet 2009
Durée : 1 h 20
13 € | 9 €