« Bartleby », Herman Melville, Théâtre Le Cabestan, festival Off Avignon

Il était une fois… Bartelby

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

La compagnie Des Perspectives revient poser ses valises au festival Off d’Avignon. Bruno Dairou, son directeur artistique et metteur en scène signe une adaptation saisissante de la nouvelle « Bartelby » d’Herman Melville. Un seul en scène très brillamment interprété par Cédric Daniélo. Bouleversant.

On connait bien ce conte étrange de l’auteur de Moby Dick. Cette histoire énigmatique d’un employé d’avocat qui, du jour au lendemain, refuse d’effectuer les tâches demandées. Pas d’explication, juste cette formule, répétée en boucle : « Je préfèrerais pas ». Une résistance passive, immobile, qui devient œil du cyclone. Autour du copiste et de sa posture monolithique, le monde, perturbé, s’agite. C’est un pavé dans la mare. Les collègues de bureau s’exaspèrent, le patron, formidable de compassion, cherche les clés de cet insondable mystère. En vain.

Bruno Dairou a imaginé une mise en scène très originale : le narrateur vient faire lecture de son récit à une société de lecteurs. Quelle bonne idée ! Elle fait des spectateurs ses pairs, membres d’une même confrérie. Ainsi le comédien vient-il prendre la parole, au pupitre, comme dans un club devenant témoin de son étrange histoire. C’est nous embarquer, d’office, au cœur de ce troublant récit.

Le talent d’un conteur

Très élégant, Cédric Daniélo s’installe. Costume chic et chapeau melon. Un notable du XIXe siècle. Il sort de sa serviette le carnet du récit et chausse ses lunettes : voici l’homme à sa tribune. Formidable d’éloquence et de sensibilité, il nous offre des personnages hauts en couleur, avec une verve généreuse : Dindon, et sa « belle teinte vermeille » du matin, Lagrinche et sa « mine de pirate », Gingembre et son « arroi de coquilles de noix » : les employés de l’étude.

 
© Philippe Hanula

Quant à lui, narrateur, point focal du récit, il apparait dans toute son insolite complexité. Image d’une sollicitude absolue et désarmée face à ce coup de tonnerre, ce bloc de mystère qu’est Bartleby : un homme bien se démène dans ce qu’il pense être un sauvetage. Mais pas seulement. Le jeu du comédien fait ressortir avec évidence l’un des aspects les plus beaux de la nouvelle : l’attachement immédiat – et inexpliqué – de l’homme de loi pour son employé mystère. On ne peut qu’être touché par ces minuscules silences qui précèdent le prononcé du nom : Bartelby. C’est presque imperceptible, mais c’est là. Un respect, une tendresse d’autant plus sacrée qu’elle n’a pas de raison d’être. Là aussi réside le grand mystère. Cédric Daniélo donne chair au personnage de Bartleby, le « maigre Bartleby », homme quasi invisible, par le lien qui l’unit à lui. Il le fait apparaitre, en creux, par le sentiment : compassion, sincérité, humanité.

Nous sommes l’auditoire privilégié d’un récit merveilleux : « Un homme immobile apparut un matin sur le seuil de mon étude. Je vois encore cette silhouette lividement propre, pitoyablement respectable, incurablement abandonnée ! C’était Bartleby ». Le comédien nous empoigne, et ne lâche plus. Sa conviction est contagieuse. Avec cette intensité des « Il était une fois…», il nous place devant l’inexplicable. Diction parfaite, présence de tous les instants, intelligence de jeu. Il fait rouler vers nous ses grands yeux noirs, fait parler ses mains avec une expressivité magnifique, sait mesurer les silences et les rythmes. Et nous bouleverse. Cédric Daniélo est un sacré conteur. 🔴

 Florence Douroux


Bartelby, d’après Herman Melville

Traduction : Pierre Leiris
Le texte est édité chez Gallimard
Site de la compagnie des Perspectives
Mise en scène : Bruno Dairou
Avec : Cédric Daniélo
Création Lumières : Arnaud Barré
Design graphique : Camille Vigouroux
Durée : 1 h 05

Théâtre Le Cabestan • 11, rue du Collège de la Croix • 84000 Avignon

Du 7 au 30 juillet 2022 à 11 h 10
De 10 € à 20 €
Réservations : 04 90 86 11 74 ou en ligne

Dans le cadre du Festival Off Avignon
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :

Le gouffre d’un Prince, critique de Florence Douroux
Melville, la vie, critique de Cédric Enjalbert

À propos de l'auteur

Une réponse

  1. Bonjour
    Votre article exprime bien ce que j’ai ressenti devant Bartleby. Formidable acteur !
    Je souhaiterais avoir les références de l’extrait musical choisi. Femme soprano. Ça m’a enchantée.
    Si vous pouviez me le transmettre
    Merci
    Béatrice Fraizy

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