« Black March », Claire Barrabès, Théâtre des Célestins, Lyon

Black-March-Claire-Barrabès-Sylvie-Ogier © V.Descotils

La vie en éclats

Trina Mounier
Les Trois Coups

Sylvie Orcier s’empare avec rigueur du très beau texte de Claire Barrabès, « Black March », qui parvient à éviter tous les écueils sur la folie, avec son regard aigu et exigeant, lucide et décalé, grave et léger. Une belle leçon d’humanité et de théâtre.

La folie et l’hôpital psychiatrique suscitent notre curiosité, sans doute parce que ça nous fait un peu peur, que ce soit loin ou proche de nous. Est-ce pour cela que tant de spectacles sur ce thème ont été créés ces derniers mois ? Peu ont su nous toucher, dépasser le reportage, la condescendance ou la caricature. Or, Black March est l’un des meilleurs spectacles qu’il m’ait été donné de voir, cette année, toutes rubriques confondues.

Claire Barrabès centre son sujet sur quelques personnages (cinq en tout) auxquels elle s’attache (et nous attache en un tournemain), auxquels elle prête une vie antérieure qu’elle leur laisse le soin de dévoiler peu à peu, par un mouvement de recul, un lapsus, une confession murmurée, un refus, une ellipse.

© V. Descotils

Se retrouvent autour des repas, des réunions et ateliers thérapeutiques, Bertrand, vieil homme mutique autrefois grand pianiste qui a perdu l’usage de sa main, Minona, fragile et à fleur de peau, condamnée à la suite de la mort de son enfant, Ralph dont on devine un passé erratique né d’une jeunesse abandonnée et violente. À eux trois, ils forment un concentré de cette petite communauté contrainte. Face à eux, une cheffe de service débordée et un infirmier incontrôlable, eux-mêmes aux prises avec des difficultés personnelles.

Un texte et des comédiens

Dit comme cela, Black March peut paraître plombant, mais la pièce ne l’est jamais. Elle est à la fois grave et d’une légèreté incroyable. On est ému mais on sourit, parfois on rit franchement, sans pour autant sombrer dans la vulgarité ou le dérisoire. Car l’autrice a pour ses personnages un respect qu’on sent infini et une profonde tendresse.

Et puis, il y a la mise en scène, dont la petite salle des Célestins disposée en bifrontal se prête à accueillir déambulations, gesticulations et débordements. Structurée par une utilisation méticuleuse et graphique des lumières. Sylvie Orcier a su réunir autour d’elle une bande d’acteurs de haute volée. Des frappadingues parlent, miment, dansent, hurlent la misère, la douleur, la solitude, la peur, puis se prennent dans les bras, exhibent leurs plaies et leur violence. Des acteurs formidables à fleur de peau et tendus comme des instruments, capables de tout, et d’abord d’emmener avec eux un public tenu en haleine une heure et demie.

© V. Descotils

Citons d’abord le grand Patrick Pineau dans le rôle d’un homme hébété de chagrin ; Lauren Pineau-Orcier, extraordinaire de sensibilité et de justesse dans le rôle de Minona (son premier rôle) ; jamais en paix entre abattement et accès de violence, Djibril Mbaye interprète avec beaucoup de retenue ce paumé à qui la vie n’a pas fait de cadeau ; Aline Le Berre, déchirée sous la carapace ; Eliott Pineau-Orcier dit tant de choses avec son corps caoutchouc, dans des chorégraphies très originales qu’il signe avec Élodie Hec.

Dans ce grand couloir qui dit les distances entre les personnes, entre soignants et soignés, malades et bien-portants (sic), les chaises volent aussi. Ces chaises qu’on jette de toute sa colère dans un fracas étourdissant, comme les nuggets, les biftecks, la purée…

Le guitariste, Pablo Elcoq, comme sorti de la rue d’à côté ou de la gare du Nord, reprend des airs de Gainsbourg, des Beatles. Ce souffle poétique, un brin surréaliste, tout du moins hors du temps, enlève de la noirceur sans pour autant affadir le propos. Cet immense spectacle sur la comédie (et la tragédie) humaine est à voir absolument. 🔴

Trina Mounier


Black March, de Claire Barrabès

Compagnie Pipo
Mise en scène et scénographie : Sylvie Orcier
Avec : Pablo Elcoq, Aline Le Berre, Djibril Mbaye, Patrick Pineau, Lauren Pineau-Orcier, Eliott Pineau-Orcier
Assistanat à la mise en scène : Patrick Pineau, Valentin Suel
Musique : Pablo Elcoq
Son : François Terradot
Lumière : Christian Pineau
Régie plateau : Florent Fouquet
Collaboration artistique : Jean-Philippe François
Chorégraphie : Élodie Hec et Eliott Pineau-Orcier
Durée : 1 h 20

Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 8 au 17 mars 2023, du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 h 30, relâche le lundi
Réservations : 04 72 77 40 00 ou en ligne
De 9 € à 26 €

Tournée :
Du 28 au 31 mars, Grand T, à Nantes

À découvrir sur Les Trois Coups :
John a-dreams, de Serge Valetti, par Trina Mounier

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