L’urgence de vivre
Cette année la promotion est la plus réduite de son histoire, Covid oblige. D’ailleurs, les épreuves que ces étudiants ont vécues ont dû alimenter cette dystopie. L’annonce précédant le début de la représentation annonce la couleur : « Préparez-vous à une perte de repères ». On a été bousculé, effectivement, face à un mur du son qui diffuse une musique oppressante ou plutôt du bruit.
Sombres, les premières minutes réclament beaucoup d’attention. À la lueur de torches, on perçoit ici un pied, là un coude, un corps pendu. Dans cette épaisseur trouée d’éclats rouge sang, les mouvements sont furtifs. Heureusement, en dépit des sales coups, la vie palpite.
Des sons métalliques répétitifs et les rituels d’une milice cagoulée nous propulsent du Moyen Âge aux temps modernes. Avec un texte réduit à sa portion congrue, on n’en saura guère plus. Alors, on reste à l’affût d’indices. De la pénombre à l’éblouissement, le rythme accélère jusqu’à devenir haletant, non sans respiration. De l’âge de fer au monde moderne, une question se pose : « Que faire ? ».
Force brûlante
Face au sentiment d’impuissance, l’acte acrobatique s’impose comme rite de passage : un dépassement de soi, une résistance. Le groupe fait corps et se transforme en un magma ardent. Chacun·e éprouve la solitude et se consume, saute, balance, se rapproche d’un·e autre, se heurte, non sans ardeur.
Originaires du Maroc, d’Irlande, de France et de Suisse, ces jeunes renouvellent indubitablement l’approche de leur discipline. Au mât chinois, Antonin Cucinotta et Uma Pastor affirment deux fortes personnalités, mais ils ne font pas d’ombre à leurs camarades, tous très engagés. À la roue Cyr, Mano Vos nous a éblouis par sa grâce et ses tours de passe-passe originaux. À la corde lisse, Heather Colahan-Losh, est exceptionnelle, tout comme Jaouad Boukhliq, dans son numéro d’équilibres sur cannes. Les acrobaties sont aussi remarquables. Les séquences chorales sont très réussies.
Duo de choc
Martin Palisse, jongleur et directeur du Sirque, pôle national cirque de Nexon, et David Gauchard, repéré pour ses mises en scène de Shakespeare et qui collabore régulièrement avec lui, ont mis en piste ces six interprètes. On reconnaît leur style : musique électro assourdissante, effets stroboscopiques, transes, ruptures de ton, esthétique froide, univers futuriste… Ici, leurs partis pris sont également sans concessions.
Tourmentés, impatients, les personnages chutent beaucoup, accusent les coups, redoublent d’efforts, afin de rebondir encore et encore. Cette horde, qui traduit parfaitement la violence du monde, rend le malaise prégnant. Toutefois, tous parviennent à gérer leurs pulsions. Entre transe et prouesses acrobatiques, ce nouvel opus finit par magnifier l’esprit collectif et célébrer le vivant. Ouf !
Léna Martinelli
Brûler d’envies, 36e promotion du CNAC
Mis en piste : David Gauchard et Martin PalisseAvec : Jaouad Boukhlid, Heather Colahan-Losh, Antonin Cucinotta, Uma Pastor, Marine Robquin, Mano Vos
Collaboration artistique : Stefan Kinsman
Scénographie : Martin Palisse
Collaboration à l’acrobatie : Dolores Calvi, Abdel Senhadji
Conception lumière : Alix Veillon, Jean Ceunebroucke
Conception et réalisation costumes : Leonor Gellibert, Darius Grenier
Mise en espace sonore et régie son : Théo Armengol
Régie lumière : Vincent Griffaut ou Thibaut Paris
Régie générale : Julien Mugica
Durée : 1 h 10
Dès 10 ans
La Villette • Espace Chapiteaux • Porte de la Villette
Du 22 janvier au 16 février 2025, du mercredi au vendredi à 20 heure, samedi à 19 heures, dimanche à 16 heures
De 10 € à 26 €
Réservations : en ligne
Tournée ici :
• Les 28 et 29 mars, Cirque-Théâtre d’Elbeuf, PNC Normandie, dans le cadre du festival SPRING
• Les 20 et 21 juin, Cité internationale des arts du cirque, dans le cadre du festival utoPistes, à Lyon
• Du 12 au 16 août, Le Sirque, PNC Nexon Nouvelle Aquitaine, dans le cadre du festival Multi-Pistes, à Nexon
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Présentation Projets Fin Études », CNAC, par Léna Martinelli
Photos : © Christophe Raynaud de Lage
