La tour infernale
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
La compagnie Treiz’or explore la satire de Confino centrée sur l’univers du building d’affaires : un résultat plus proche du Ground zero que du 7e ciel.
Pendant quatre-vingt‑dix minutes, je me suis interrogée sur ce qui n’allait pas. Tout avait pourtant bien commencé. Les ressources du microscopique mais élégant Théâtre du Temps ont été exploitées à fond pour donner aux spectateurs l’illusion d’être les actionnaires du groupe Consulting Conseil, convoqués en assemblée générale. Sourire gingival des hôtesses d’accueil pomponnées comme des prospectus publicitaires sur pattes, tailleurs et costumes stricts pour tout le staff, musique baroque saturant les amplis, salutations obséquieuses, distribution de badges individuels et de flyers : quelle belle partie de rigolade en perspective !
D’autant plus que Léonore Confino est la jeune auteur en vogue, experte en décapage à l’acide de tous les travers de notre société consumériste, capitaliste et autres choses déprimantes en ‑iste. Le texte de Building 1 propose une vision en coupe de ce grand corps malade qu’est une entreprise de 330 salariés répartis sur 13 niveaux d’un building d’acier et de baies vitrées. Les 35 personnages viennent, au cours de saynètes qui sont comme autant d’instantanés saisis sur le vif, nous présenter un étage et un service (tout y passe, des sanitaires à la D.R.H., du sous‑sol / parking au sommet de l’immeuble dédié à la direction et aux réceptions de prestige).
Un Confino confiné
Le spectacle s’ouvre sur une première déconvenue : le comédien qui est aussi le metteur en scène n’est pas crédible du tout comme P.‑D.G. d’une grande société de conseil. Ni la gestuelle ni l’intonation ne conviennent : trop de blancs, trop de bonhomie. Bardée d’indulgence pour cette seconde représentation de la pièce par une jeune troupe ayant donné son meilleur avec de tout petits moyens, je me suis dit qu’il fallait faire la part du trac et des imperfections d’un travail peut-être pas encore tout à fait abouti. Or même quand la compagnie est « chauffée », le jeu continue à être truffé d’incorrections, fautes de texte, lapsus qui, à certains moments, détruisent franchement l’effet comique pourtant bien préparé pendant les secondes qui précèdent. On voit trop les coutures, donc, de ce qui pourrait être un assez beau vêtement s’il ne nous rappelait sans cesse qu’il vient juste de sortir de l’atelier.
Car il y a quelques réussites : un solo et un ensemble, notamment. Le solo, c’est celui de Clotilde Simon. Elle campe assez bien le délire monomaniaque de l’employée dont le rapport multipage a été détourné par sa chef qui lui a volé ses mots et « changé sa chanson » comme dirait le tube des années 1970. L’ensemble, c’est la séance de télémarketing impliquant tous les employés d’un open space téléphonant en même temps à des correspondants variés pour placer le même produit avec les mêmes mots. Ce grand moment collectif, qui est certainement le plus magistral de la pièce de Confino, n’est pas trahi par la Cie Treiz’or, parvenue à un instant de grâce au prix d’une indéniable virtuosité technique (enfin !).
Alors à quoi tient cette perception générale de restitution un peu étriquée d’un texte dont les gags les plus intéressants tombent à plat, au point qu’on a parfois l’impression de voir en vrai la vie de l’entreprise, prise au premier degré, donc sans recul, donc sans saveur ? Me tournant vers le texte original et les versions scéniques antérieures, je vois qu’il est prévu par l’auteur une part musicale et chorégraphique importante. Cette musicalité, le décalage induit par l’introduction de chorégraphies au beau milieu de scènes hyperréalistes, font franchement défaut, malgré les enregistrements symphoniques assez prometteurs de l’accueil à l’entrée du théâtre. Oui, c’est bien le rythme de cette pièce que la troupe peine à trouver. Personne n’est franchement incompétent, pourtant l’ensemble manque de tonus. C’est un chef d’orchestre qu’il faut pour diriger Building. ¶
Élisabeth Hennebert
- Léonore Confino, Building, éditions L’Œil du prince, 2012, 72 p.
Building, de Léonore Confino
Cie Treiz’or
Mise en scène : Théau Cosseron et Clotilde Simon
Avec : Cécile Breuillard, Théau Cosseron, Nassim Gacem, Alexandre Guédé et Clotilde Simon
Théâtre du Temps • 9, rue du Morvan • 75011 Paris
Réservations : 01 43 55 10 88
Site du théâtre : www.theatredutemps.net
Métro : ligne 9, station Voltaire
Jusqu’au 25 novembre 2016, les mardi, mercredi et vendredi à 20 h 30
Durée : 1 h 30 sans entracte
16 € et 12 €