Permis d’« identiter »
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
Diogène Ntarindwa a posé ses bagages (dans l’un d’eux, son père) à la Manufacture. Fin d’un périple commencé au Burundi, qu’il nous retrace avec légèreté et sensibilité dans « Carte d’identité », carte qu’il parcourt à la recherche de soi et sur les pas de la grande Histoire, avec, comme tout voyage, quelques longueurs.
Diogène Ntarindwa est né au Burundi en 1977, de parents réfugiés ayant fui les massacres anti‑Tutsi au Rwanda. Les injustices dont il est témoin, sinon victime, liées à la politique de préférence nationale du Burundi, rendent manifeste son statut d’exilé et réveillent sa « rwandanité ». Aussi, quand le Front patriotique rwandais lance une offensive contre le régime autoritaire du président rwandais Habyarimana, et après que ses frères se sont engagés, espère-t‑il les rejoindre. Il le fait à dix‑sept ans quand l’avion d’Habyarimana est abattu et que le génocide commence. Après la guerre, grand nombre de ses amis sont morts. Une odeur de cadavre flotte toujours, mais il reprend ses études, secondaires et supérieures. Participe à une troupe de théâtre. Émigre en Belgique, entre au Conservatoire de Liège. Rencontre Philippe Laurent, avec qui il écrit et met en scène sa « petite histoire dans la grande », et établit ainsi sa Carte d’identité.
Le spectacle débute par une vidéo de son père qui chante. Vites éteintes, les vocalises de ce dernier ne sont pas sûres, mais c’est une question de respect et un compromis : « Diogène, si quelqu’un doit raconter cette histoire, l’histoire d’une parole, c’est moi ! » lui lance-t‑il quand son fils lui présente le projet. « Impossible, papa, mais tu seras diffusé partout en Europe, et devant le roi de Belgique très sûrement. » Marché conclu. Et voilà Diogène jouant son spectacle, mime incarnant son père, ses amis, un détestable gouverneur belge au Rwanda, un professeur d’histoire, deux intellectuels érudits discourant sur l’essence de l’Afrique noire, des soldats. Parlant en son nom. Avec humour, gravité, poésie parfois, il manie en conteur de talent les images les plus fortes et le verbe le plus clair, telle cette question qui figure en peu de mots l’histoire tragique du Rwanda : « Que font ces corps mutilés sur ces collines ? ».
Malgré quelques longueurs, ce voyage sur les traces des aïeux, interrogeant la mémoire et l’exil, à la recherche de soi, cet aller-retour entre la grande et la petite histoire participent d’un questionnement vivant et généreux sobrement mis en scène, sans superflu, dans une belle lumière en halo. Cette Carte d’identité établie en un seul‑en‑scène est une élégante façon d’accéder à un permis d’« identiter ». ¶
Cédric Enjalbert
Carte d’identité, de Diogène Ntarindwa
Mise en scène : Philippe Laurent
Avec : Diogène Ntarindwa
Son : Nicolas Stroïnovski
Lumières : Xavier Lauwers
La Manufacture • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 12 71
Du 8 juillet au 28 juillet 2009 à 11 heures
Durée : 1 h 15
15 € | 11 | 5 €