Vivre ou exister ? Roborative question
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Sur un sol de tourbe brune s’alignent en arc de cercle quatre bidons métalliques. Suspendue au‑dessus de chacun d’eux une moustiquaire. Une douce lumière dorée baigne l’ensemble. Atmosphère sereine. Oasis de paix. L’image est trompeuse. Quelque chose fait craindre que la terre soit remuée, creusée, projetée sur les corps. Les bidons hermétiques laissent imaginer qu’ils pourraient contenir non pas une eau rafraîchissante, mais un liquide explosif. Ces hypothèses ne seront pas déçues.
Puis les comédiens entrent, souriants et décontractés. Passé un prologue convivial invitant l’assemblée du public à une écoute citoyenne, ils dévoilent de façon ludique et cynique leur propos : une loterie pour désigner parmi eux celui ou celle à qui sera attribué le rôle du bouc émissaire. Instantanément, les spectateurs deviennent complices des situations dramatiques à venir. Zoé, Nolwenn, Anna et Julien (leurs vrais prénoms dans la vie), nourris dans leur tâche d’élaboration de leur création de textes entre autres de Louis Calaferte, Rodrigo García ou Joël Pommerat, referment un piège pervers et joyeux sur leur auditoire.
À coups de répliques inventées ou en forme de citations, travaillant sur le rythme et la répétition, s’engageant intensément physiquement, ils déroulent ou éructent les aspects les plus sombres du rejet de l’autre. Humour noir et dérision sont au rendez-vous. Rares sont les instants de tendresse ou de réconciliation. Un déferlement nauséeux s’abat sur les protagonistes, cherchant à réveiller les consciences des auditeurs. Leurs rires les rendent coupables, leurs silences les stupéfient.
Asphyxiés par notre coupable inertie
Infirmes, miséreuses, sadiques ou simplement sûres d’elles-mêmes, les figures qu’ils nous adressent renvoient à nos lâchetés, à nos faiblesses, à notre trop fréquente passivité. Seuls quelques douces mélodies ou chants chorégraphiés apportent une respiration salutaire pour éviter d’être asphyxiés par notre coupable inertie. Un message limpide s’impose. Il nous faut choisir en permanence de nous contenter de vivre ou de faire le pari d’exister.
Pour mener à bien leur projet, les quatre jeunes mais déjà expérimentés comédiens brandissent avec une incroyable énergie leur jeunesse. Manière de dire qu’il est urgent de ne pas attendre les acquis de l’âge pour s’insurger contre les pires discours du repli sur soi, du racisme ordinaire, de la bêtise quotidienne. Des jeux apparemment innocents de l’enfance aux comportements irresponsables de l’âge adulte, ils déploient talentueusement les émotions et les attitudes aptes à soutenir leur propos.
Nolwenn Le Doth en bouc émissaire résiste magnifiquement aux humiliations et reconquiert sa dignité. Zoé Agez‑Lohr refuse avec vigueur d’être offensée en tant que femme jusqu’à affronter physiquement l’homme qui veut la soumettre. Anna Pabst, scandaleusement détendue en détentrice de l’autorité, sait merveilleusement se remettre en question et trouver le chemin de la générosité. Julien Perrier, enfin, dans un poignant solo où il répète en de multiples variations le mot de « maman », émeut de ses propres soupirs, cris et larmes. L’équipe du collectif Le Bleu d’Armand est entièrement à féliciter pour ce remarquable travail théâtral, puissamment engagé et réussi sur le plan artistique. ¶
Michel Dieuaide
Lire aussi « Pirogue », de Jean‑Yves Picq, Théâtre des Clochards‑Célestes à Lyon.
Chienne de vie / Life Is a Bitch, création collective
Création collective : Le Bleu d’Armand
D’après Louis Calaferte, Rodrigo García, Jean‑Claude Grumberg, Jean‑Luc Nancy, Guy de Maupassant, Jean‑Yves Picq, Joël Pommerat, Jacques Rebotier
Avec : Zoé Algez‑Lohr, Nolwenn Le Doth, Anna Pabst, Julien Perrier
Musique des chansons : Tamara Dannreuther
Musique additionnelle : Morgan Prudhomme
Accessoires : Mélanie Buatois
Avec le soutien de : la S.P.E.D.I.D.A.M et du C.E. des cheminots P.A.C.A.
Les textes de Rodrigo García ont été choisis dans ses œuvres éditées aux éditions Les Solitaires intempestifs
Production : Le Bleu d’Armand
Courriel : lebleudarmand@gmail.com
Théâtre de la Renaissance • 7, rue Orsel • 69600 Oullins
Courriel : contact@theatrelarenaissance.com
Tél. 04 72 39 74 91
Représentations : du 11 au 15 octobre 2016 à 20 heures
Tarifs : 20 €, 10 €, 7 €