La belle et le bavard
Par Émilie Démoutiez
Les Trois Coups
La compagnie La Belle Idée présente « Clotilde du Nord », de Louis Calaferte. Une pièce violente et charnelle sur les rapports de domination entre l’homme et la femme.
Un triangle de tissu blanc sur fond blanc évoquant un lit entrouvert. Un drap saillant comme une lame. La première image évoque l’orgasme. Des mains, à travers le drap, s’agitent de plus en plus vite, imprimant sur le tissu immaculé les projections de nos fantasmes. Et puis le couple apparaît, dans une nudité pudiquement voilée par le tissu. Elle, Clotilde, cette fille des pays du Nord, blonde, frêle et silencieuse. Lui, dont on ignore le nom, bavard et démonstratif. Et c’est d’amour dont il parle. De leur amour, du grand amour. Curieux, un homme qui parle tant d’amour. Curieux et forcément louche.
Mais Clotilde n’y prend pas garde. Elle est à lui, entièrement, pleine de cet amour et de ces mots d’une langue qui n’est pas la sienne, de ces mots qu’elle comprend, mais auxquels elle ne peut répondre que charnellement, de ce discours amoureux qu’elle avale goulûment. On a envie de la secouer, de la sortir de sa torpeur avant que le rêve ne tourne au cauchemar. Mais, doucement, progressivement, l’homme pervers et manipulateur dessine par sa logorrhée le spectre de la prostitution. Elle est anéantie. Trop faible pourtant pour se battre.
La mise en scène d’Alain Paris, sobre et stylisée, va à l’essentiel et traduit avec justesse la violence de cette relation, malgré quelques faiblesses de rythme. Quelque chose m’a toutefois profondément dérangée dans la direction d’acteurs : Philippe Risler, qui interprète le personnage masculin, joue beaucoup face au public et semble presque le prendre à témoin parfois, introduisant ainsi une complicité avec les spectateurs dans le sadisme. En revanche, le jeu de Claire Bassez, d’une économie absolue, est renversant. Toute la fragilité d’une femme prise au piège est là, dans son regard de petit chat apeuré. Chaque geste est signifiant, chaque regard est présence. Et si elle se tait, tout en elle est parlant.
Clotilde du Nord a la violence d’un coup de fouet. Au‑delà du fait‑divers et social, cette pièce de Louis Calaferte évoque avec cruauté les rapports de domination qui peuvent exister entre un homme et une femme. Comme si la femme devait nécessairement être la victime silencieuse. Est‑ce, de la part de Calaferte, une invitation à la révolte ? Si Clotilde en est incapable, c’est peut-être à nous, spectatrices et spectateurs, de refuser ce rapport. ¶
Émilie Démoutiez
Clotilde du Nord, de Louis Calaferte
Cie La Belle Idée
Mise en scène : Alain Paris
Avec : Claire Bassez et Philippe Risler
Lumières : Orazio Trotta
Décors : Orazio Trotta et Alain Paris
Le Petit Chien • 76, rue Guillaume Puy • 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet 2006 à 14 h 20 (durée : 1 h 15)
Tarifs : 16 euros | 11 euros
Réservations : 04 90 85 89 49
Diffusion : Alain Paris | 06 73 39 12 06