Bach à cœur joie
Florence Douroux
Les Trois Coups
Quatre musiciennes de talent célèbrent à leur manière la musique intemporelle de Jean-Sébastien Bach. Elles jouent, chantent et dansent un florilège de morceaux choisis, maîtrisant un équilibre complexe entre fidélité à l’œuvre, liberté de réinventer, rigueur d’interprétation et franche fantaisie. « Come Bach » est un concert insolite et joyeux, dont la mise en scène pleine d’allant est signée Gérard Rauber.
« Société Come Bach, bonjour. Ne quittez pas, nous allons prendre votre appel (…). Désolé, tous les conseillers sont actuellement en ligne (…). Votre temps d’attente est estimé à 60 minutes ». Tandis qu’Anne Baquet, soprano pas tout à fait comme les autres, égrène dans le noir ce message téléphonique, les trois autres chantent doucement l’Aria de la suite n°3 en ré majeur de Bach. On rit, mais nous voilà aussitôt partis dans la rêverie, chantonnant tout bas nous aussi ce morceau tube, tant ressassé, dont pourtant la grâce « miraculeuse », disait Paul Valéry, demeure intacte.
Autour d’Anne Baquet, chanteuse-meneuse de l’aventure, brillent sur scène ce soir-là, Christine Fonlupt, pianiste enseignante au CNSM de Paris, Amandine Dehant, contrebassiste et Anne Régnier, au hautbois et cor anglais (toutes deux membres de l’orchestre de l’Opéra de Paris). Un quatuor d’excellence, dont le bagage musical n’a d’égal que la fantaisie la plus vive. Car ce qu’elles livrent ici n’est pas un concert classique. Les pupitres bien vite enlevés, l’espace est libre. Et là, dans cette aire de jeux éloignée des standards habituels, tout commence. Une petite cour de re-création.
Aire de jeux, airs, jeu
Le spectacle se déroule comme une succession de scènes théâtrales. Des tableaux dans lesquels les quatre musiciennes se déplacent constamment, jouant, instruments et comédie, avec une fluidité belle à voir et à entendre. Tout est mouvance sur ce plateau. Même le demi-queue, à jardin au début, selon la tradition, est roulé au centre. Il portera la contrebasse, servira d’accoudoirs et de siège, sera aussi estrade inédite pour solos virtuoses.
Cette suite de morceaux-numéros permet de redécouvrir une musique, mais aussi son influence, visible jusque dans la culture pop, qui a touché nombre de compositeurs, comme Léonard Bernstein (Just in time), Arvo Pärt (B.A.C.H), Nino Rota (Circus Waltz). Le spectacle regroupe également des auteurs-compositeurs invités à relever le défi d’« écrire, composer, arranger autour de J.S Bach ». Ainsi, sur la cantate « Jésus que ma joie demeure », Anne Baquet chante-t-elle les mots de François Morel : « Ma plus courte chanson devrait s’arrêter là / Elle aurait l’élégance qui donne le frisson ». Le titre s’étire, évidemment, la chanson n’en finit pas, et la soprano, très en verve, s’en donne à cœur joie dans une interprétation qui secoue le public de rire.
L’humour jalonne cette heure qui passe trop vite. On y entend un texte de Philippe Décamp, signant le morceau « Ça rame », qui montre Anne Baquet, dont l’énergie n’a peur de rien, faire des exercices de gym dans un rythme crescendo, tout en chantant : « Faut aller plus vite ou c’est pathétique (…). Ne pas décrocher ». Abdos au diapason du Prélude et Fugue, justement constitué d’une cavalcade de double-croches ! Une jolie pertinence.
Bienvenu aussi, « D’abord ton Bach », signé Bernard Joyet, ou 12345, composé par Marie-Paule Belle, un des moments les plus amusants du spectacle. Combien d’enfants déjà ? « Trois Yoann, ça je sais », raconte la chanteuse en épouse ivre et dépassée du compositeur, père de famille très nombreuse.
Saveurs variées
Concert aux saveurs variées, Come Bach dévoile, dans son prisme très personnel, un panorama riche de propositions et d’idées, susceptible d’attendrir toute sensibilité. Quel plaisir de plonger dans cette Bacchanale extraite de Samson et Dalila, avec ses langueurs orientales, son engagement au hautbois, rehaussé par la contrebasse et le piano ! Saint-Saëns, bien choisi ici, parce qu’il vénérait Bach, et son « monde nouveau peuplé d’une flore et d’une faune inconnue ». Il parlait notamment de ce contrepoint, dont nous régalent aussi les quatre artistes, dans leurs canons si bien maîtrisés.
Ce spectacle vif-argent qui joue sur les contrastes, les changements de rythmes et d’humeurs coure à toute allure. Il compose une vaste partition, alternant sans transition mouvements rapides et mouvements lents. À la Toccatina endiablée de Nikolaï Kapoustin – virtuosité requise – succède l’inoubliable adagio du concerto dit « Bach-Marcello », le premier ayant transcrit pour clavecin l’œuvre du second. Un moment d’émotion pure, dans l’atmosphère de contemplation profonde créée par Bach avec sa mélodie poignante.
L’atmosphère est douce et bleutée, seuls brillent les instruments. Nous voyageons. Bien d’autres surprises pimentent ce concert hors codes. Des noms inattendus surgissent, reliés eux aussi, au Maître allemand. Une belle incursion.
Florence Douroux
Come Bach, cie Le Renard
Mise en scène : Gérard Rauber
Avec (en alternance) : Anne Baquet (voix), Claude Collet (piano), Christine Fonlupt (piano), Amandine Dehant (contrebasse), Jeanne Bonnet (contrebasse), Anne Régnier (hautbois et cor anglais), Ariane Bacquet (hautbois et cor anglais)
Durée : 1 h 15
Dès 12 ans
Théâtre du Lucernaire • 53, rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris
Du 13 novembre 2024 au 12 janvier 2025, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 17 heures (relâche les 25 décembre et 1er janvier)
De 10 € à 32 €
Réservations : 01 42 22 66 87 ou en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Sélection spectacles fêtes 2024, par Léna Martinelli
☛ La Truite, d’Accordzeam, par Léna Martinelli
Photos : © Gérard Rauber