Vanités, vacuités
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Malgré des répliques brillantes, une écriture ciselée, une distribution de haut vol, cette satire d’un microcosme littéraire parisien en exil dans une petite ville de province peine à convaincre.
Une auteur à succès qui fuit habituellement interviews, salons et occasions de faire la promotion de ses livres, accepte un beau jour de répondre présente à l’invitation de la petite ville de Vilan-en-Volène : elle accède ainsi à la demande du responsable culturel de la ville, Roland. Pourquoi ? Bien entendu, il s’agit de parler de son dernier livre, le Pays des lassitudes. Mais de la raison de ce subit changement de comportement, nous ne saurons rien. Pourtant la critique littéraire parisienne mais enfant du pays, Rosanna, intriguée par le mystère, excédée qu’on lui résiste, l’aura au passage poussée dans ses retranchements.
Quatre personnages, deux hommes et deux femmes, vont donc jouer leur rôle, convenu d’avance, selon des codes que Yasmina Reza connaît bien : l’écrivain, Nathalie Oppenheim, interprétée avec infiniment de poésie, de fraîcheur et d’insolence par une Zabou Breitman plus mutine que jamais ; la critique littéraire parisienne (Christèle Tual) tellement snob qu’à aucun moment elle ne parvient à dépasser la caricature ; le maire qui surgira dans une dernière partie déconnectée de l’ensemble pour effectuer un numéro d’acteur supplémentaire… Hélas, André Marcon a été remplacé dans cette version par Michel Bompoil en minable imbu de lui-même, que l’alcool aidera à desserrer la cravate, jouer les séducteurs sur le retour et enfiler les lieux communs. Reste Roland, auquel Romain Cottard confère une grande drôlerie et beaucoup de subtilité : ce jeune homme timide a parfois des audaces délicieuses, et l’on comprend qu’il ait trouvé l’art d’attirer Nathalie Oppenheim à ce « samedi littéraire de Vilan-en-Vilène ».
Le ballet des dupes
Ce que montre parfaitement la pièce de Yasmina Reza, c’est la solitude dans laquelle chacun arrive et repartira, même si dans le dernier acte, la fatigue et l’alcool aidant, chacun va se lâcher et se relâcher : tous chanteront, danseront, riront, mais cette fête improvisée restera aussi superficielle que les approches rituelles propres aux rencontres littéraires. Car nous ne connaîtrons rien des fêlures de cet auteur qui regimbe à parler d’elle au prétexte que le roman est suffisamment éloquent et qu’il suffit d’en écouter les protagonistes (l’idée eût pourtant mérité d’être mieux traitée). Nous n’en saurons guère plus des autres personnages, chacun étant réduit à un type. Il est donc vain d’espérer une quelconque émotion. On se lasse vite de ces fausses confidences, de ces mystères artificiels, de ces caractères attendus.
Certes, les dialogues sont brillants, vifs, et l’on rit fréquemment, mais une impression de langueur pèse sur la pièce (comme sans doute sur Nathalie Oppenheim). La mise en scène, il est vrai, joue les prolongations, étire inutilement les répliques, multiplie les silences pour montrer l’incommunicabilité, insère entre chaque tableau des noirs dont le seul avantage est de permettre les changements de décor. Ces derniers sont indubitablement de toute beauté, mais malheureusement trop souvent disproportionnés : la belle perspective à la Edward Hopper du début, par exemple, sert d’écrin à une très courte scène sans grand intérêt qui n’est pas même d’exposition. De même, Yasmina Reza a déplacé son histoire dans les années 1960, prétexte à une version karaoké du Nathalie de Gilbert Bécaud et à la coiffure d’une Nathalie Oppenheim transformée en Natalie Wood…
Il reste quelques jolis moments de théâtre comme celui où Zabou Breitman, dos aux spectateurs mais face à une rampe imaginaire, entame une lecture en forme de slam qui dit (enfin) quelque chose de l’authenticité nécessaire à l’écriture et à l’émotion. ¶
Trina Mounier
Comment vous racontez la partie, de Yasmina Reza
Mise en scène : Yasmina Reza
Avec : Michel Bompoil, Zabou Breitman, Romain Cottard, Christèle Tual
Décor : Jacques Gabel
Lumières : Roberto Venturi
Costumes : Nathalie Lecoultre
Son : Xavier Jacquot
Coiffures et maquillages : Romain Marietti
Collaboration à la mise en scène : Sophie Lecarpentier, Romain Marietti
Assistanat répétitrice : Pénélope Biessy
Chorégraphie Marion Lévy
Professeur de chant : Virginie Cote
Professeur de piano : Juliette Linget
Construction décor : atelier de l’Humain trop humain–C.D.N. de Montpellier
Hounds of Winter (Sting) est interprétée par Nathan Zanagar (chant), Michel Korb (piano), Sergio Leonardi (guitare), Jean‑Philippe Reza (batterie), André Bell Bell (basse)
Photo : © Pascal Victor / ArtcomArt
Production : Cie des Petites-Heures
Coproduction Théâtre du Rond-Point, les Célestins à Lyon, les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Théâtre Liberté à Toulon, Théâtre des Sablons à Neuilly-sur-Seine
Les Célestins • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Réservations : 04 72 77 40 40
Du 6 au 17 janvier 2015, à 20 heures, dimanche à 16 heures, relâche lundi
Durée : 1 h 40
35 € | 31 € | 20 € | 18 € | 17 € | 15 € | 10 € | 9 €