« La Chatte sur un toit brûlant », de Tennessee Williams, Théâtre des Clochards Célestes à Lyon

« La Chatte sur un toit brûlant » de Tennessee Williams © Benoît Martin

Huis clos pour secrets de famille

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Le titre de ce spectacle évoque un très vieux film de 1958 qui a durablement marqué les esprits. À cause de Paul Newmann et Elizabeth Taylor, formidables acteurs à la sensualité magnétique, mais aussi du roman de Tennessee Williams dont il est tiré. Ce qu’en a fait la compagnie Sagittarius A est remarquable.

Un couple vit sur l’immense plantation familiale, à l’ombre du patriarche tout-puissant. De lourds secrets pèsent sur eux : la mort du meilleur ami de Brick quelque temps avant, la maladie grave du père, l’absence de désir entre Brick et Maggie. Le lit est déserté, alors que la femme, dans ce Mississipi des années 50, est réduite à sa fonction reproductrice. Brick boit du matin au soir et du soir au matin. Si le film explique cet alcoolisme par le deuil qu’il ressent, le livre de Tennessee Williams est plus explicite. De même que le spectacle mis en scène par Benoît Martin : c’est le désir homosexuel de Brick, vécu comme honteux dans une société archaïque et moralisante, qui le tue à petit feu.

Cela ne serait encore rien si le couple ne vivait avec toute la famille, sans bénéficier jamais d’aucune intimité, contraint à la normalité et donc au mensonge. Tout le monde (se) dissimule dans ce microcosme, de même que chacun espionne l’autre, observe s’il est conforme. Dans ce lieu où s’exerce sans partage le pouvoir patriarcal, le domaine et l’héritage sont d’abord des moyens de pression et des monnaies d’échange.

« L’enfer, c’est les autres »

C’est précisément dans la peinture de cette atmosphère étouffante que la mise en scène de Benoît Martin fait merveille. Et dans la manière dont il se démarque du film. Ici, le héros est le seul Brick, au centre d’une sorte de boîte ouverte devant nous, avec un divan, une place et un réfrigérateur plein d’alcool qui témoignent du secret qui, pour être de Polichinelle, doit pourtant être tu. C’est Jean-Philippe Salério qui incarne avec brio cet homme dans sa course vers la mort. Sa femme Maggie la chatte, son père Big Daddy, sa mère Big Mama, son frère jaloux, sa belle-sœur prolifique, ne le rejoignent jamais, retranchés dans l’ombre des spectateurs. À tour de rôle ils interviennent au cours de longs monologues comme autant de voix off qui renforcent la solitude de Brick.

Le déplacement du sujet cache un autre décalage : là où le cinéma est efficace pour montrer, notamment grâce au gros plan, le théâtre excelle à faire vivre l’invisible, à faire en sorte qu’il pèse lourdement, envahisse les corps et les cœurs. Dans cette mise en scène, on ressent la moiteur et la touffeur du sud comme la pesanteur de désirs qui ne trouvent pas d’expression.

Les comédiens de la pièce sont loin d’être des inconnus. Tous ont un joli palmarès. À commencer par Jean-Philippe Salério. La densité de son interprétation alors même qu’il se tait est puissante. Pierre Germain dans le rôle de Big Daddy, Jessica Jargot dans celui de Maggie, Ana Benito, Savannah Dol, et Renaud Bechet complètent cette distribution de haute volée. Tous jouent beaucoup, avec divers metteurs en scène ; ce sont de vrais professionnels. Certains ont été marqués de l’empreinte de Gwenaël Morin, grand maître du travail de la voix : ils murmurent infiniment doucement ou débitent comme des mitraillettes des phrases qui vont faire mouche et, quoique cachés, nous tiennent en haleine tant l’ambiance est hypnotique.

Benoît Martin m’était inconnu. Cette rencontre m’a impressionnée. La singularité de son regard, la direction d’acteurs si parfaitement maîtrisée, la lecture des textes donnent l’envie de suivre ses prochaines créations. La Chatte sur un toit brûlant n’est que le premier volet d’un diptyque qui sera joué en intégralité aux Clochards célestes la prochaine saison. J’irai pour ma part les yeux fermés ! 

Trina Mounier


La Chatte sur un toit brûlant, de Tennessee Williams

Traduction Pierre Laville

Mise en scène : Benoît Martin

Avec : Renaud Bechet, Ana Benito, Pierre Germain, Jessica Jargot, Savannah Rol et Jean-Philippe Salerio

Lumière : Manuella Mangalo

Scénographie : François Dodet et Benoît Martin

Durée : 1 h 20

Teaser vidéo

Photo : © Benoît Martin

Théâtre des Clochards célestes • rue des Tables Claudiennes • 69004 Lyon

Représentations professionnelles à huis clos les 26 et 27 avril 2021

clochardscelestes.com
Compagnie Sagittarius A* Théâtre

Contact : 06 29 86 00 76 • sagittarius.a.theatre@gmail.com

 

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories