« Coriolan », Shakespeare, cie NéNéKa, Théâtre Bastille, Paris

Coriolan-Shakespeare-NéNéka 1 © Victor-Tonelli

Shakespeare on the beach : le flop !

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Comment faire un flop en montant une pièce de Shakespeare avec de bons comédiens ? Réponse avec « Coriolan » mis en scène par François Orsoni au Théâtre de la Bastille, peplum cheap sans âme, ni direction.

La reine est morte et l’horizon s’assombrit pour les comédiens. On est en… 1603. Mais si Coriolan de Shakespeare résonne si fort aujourd’hui, c’est surtout que la pièce se déroule à Rome alors que le peuple gronde. Le prix du blé a flambé et il est encore des nantis au Sénat pour servir une fable justifiant l’injustice. Ce n’est pas la théorie fumeuse du ruissellement mais celle des membres et de l’estomac. Agrippa, patelin, pérore : « Certes l’estomac se contente de se gaver sans rien faire, mais c’est qu’il redistribue aux membres ensuite »… Bien sûr, les tribuns s’énervent.

Ensuite, Rome est en guerre contre les Volsques, un peuple voisin. La tragédie de Shakespeare dépeint la destinée d’un héros ambigu de ce conflit. Caïus Martius est en effet un homme droit mais plein des préjugés de sa classe sociale, un redoutable soldat mais un piètre homme politique, voire un danger pour la République. De ce héros, la bile fera d’ailleurs un traître. Ambiguïté passionnante et tout aussi moderne que la trame de l’histoire. C’est justement cette ambivalence qui a attiré François Orsoni et qu’il veut maintenir. Sauf que sa direction d’acteurs la gauchit en revirements grotesques, et que la mise en scène, elle, ne se prive pas des plus grandes outrances.

Dalida ou mère courage ?

La scénographie met la puce à l’oreille. En fond de scène, l’image d’une boite de nuit de banlieue. Les chanceux reconnaîtront l’Acropol de Chilly Mazarin. Sur les côtés, des néons nous invitent en « Corioland ». Des rochers de stuc, un palmier confirment la volonté de présenter un univers faux et clinquant. Pourquoi pas ? Coriolan ne dénonce-t-il pas la mascarade du pouvoir ? Mais le décor reste illustratif, il ne sert en rien la mise en scène, si on excepte quelques calembredaines dont on se passerait justement

Coriolan-Shakespeare-NéNéka 2 © Victor-Tonelli
© Victor Tonelli

De même, le dispositif bifrontal, qui permet de faire de la salle une partie du Sénat et de nous renvoyer à nos propres positionnements politiques, est fort peu exploité. Comme seule l’aristocratique mère de Coriolan s’y pavane, l’hémicycle se voit réduit à un lieu de parade. Volumnia y apparaît comme un monstre politique ou théâtral : mixte bizarre de Dalida, de Mère Courage et de Lady Macbeth.

Ainsi, la scénographie, comme le jeu, souvent granguignolesque, nous incitent à prendre de la distance. Références mal digérées au monde des séries, aux films de genre avec batailles bruitées à vue, postiches ridicules laissent stupéfaits. Certains rient, mais où est alors la noirceur crépusculaire de Shakespeare ? Difficile en fait de rentrer dans l’intrigue, de comprendre les enjeux. On en vient à suivre des numéros d’acteurs : exhibition dénudée gratuite de Jean-Louis Coulloc’h, numéros de samouraïs de Pascal Tagnati et Alban Guyon. Ce dernier délivre encore de petits morceaux d’anthologie comique mais totalement hors sol.

© Victor Tonelli

Et le trouble du spectateur ?

On est navré, d’autant qu’à certains moments, quand la mise en scène abandonne ses poses, on suit ces bons comédiens, on les apprécie. Aucun cap ne leur semble donné. Or, l’ambiguïté n’interdit pas d’avoir un point de vue. Et la plus grande réussite ne serait-elle pas qu’elle habite le spectateur à sa sortie, qu’il soit troublé par des interrogations, sans pouvoir trancher ? Hélas, en quittant le théâtre, on n’éprouve que le soulagement d’échapper à une mascarade et on ne doute pas de la faute de Coriolan. C’est donc vraiment Shakespeare à la roche tarpéienne. 🔴

Laura Plas


Coriolan, de Shakespeare, cie NéNéka

Le texte est édité dans le tome 2 de La Pléiade et traduit par J. M Desprat aux éditions Gallimard
Site de la compagnie
Mise en scène : François Orsini
Avec : Jean-Louis Coulloc’h, Alban Guyon, Thomas Landbo, Estelle Meyer, Pascal Tagnati
Lumière : François Orsoni et Antoine Seigneur-Guerrini
Scénographie et costumes : Natalia Brilli
Durée : 2 heures
Dès 15 ans

Théâtre de la Bastille • 76, rue de La Roquette • 75011 Paris
Du 12 septembre au 7 octobre 2022 (relâches le dimanche et le jeudi 15 septembre) à 20 heures
De 15 € à 25 €
Réservations : 01 43 57 42 14 ou en ligne

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