Vide théâtral sidéral et sidérant
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
À bord d’un vaisseau spatial baptisé Jean Vilar, trois femmes et deux hommes s’apprêtent à embarquer. Leur mission : inventer et répéter un spectacle vivant destiné à être présenté éventuellement aux habitants d’une exoplanète qu’ils réussiraient à aborder. Leurs moyens : un gong, une flûte à bec et quelques projecteurs. Leur particularité : aucune compétence théâtrale. Leur seule assurance : une provision de gamètes pour continuer de se reproduire au cas plus que probable où ils disparaîtraient durant leur périple au goût d’éternité.
Pour réaliser sur une scène ce propos de science-fiction, les cinq protagonistes disposent d’un vaste espace blanc au fond duquel est installé un objet figurant une cabine spatiale, sorte de Lego électronique. S’ajoutent à cet élément trois bannières équipées d’écrans tactiles qui permettent aux spationautes de vérifier les différents processus techniques du vol prochain. Elles ressemblent étonnamment à celles qui sont utilisées lors de processions religieuses.
L’équipage parle en français et dépend d’un chef de groupe ayant tendance à se montrer autoritaire, si bien que le texte amplifié qu’on entend se rapproche plutôt d’une conférence dont il est le maître. Son discours pédagogique pratique souvent la dérision et s’essaie à différents degrés d’humour. Malgré quelques tensions passagères, les équipiers apparaissent dociles et collaborent efficacement à la mise en orbite du projet. Leurs incessants allers et retours entre le module d’envol et l’aire libre où stationnent les matériels sont très répétitifs et provoquent un ennui certain, qui fait oublier l’essentiel du propos imaginé par le concepteur de la réalisation.
Une suite de gimmicks réduite à un pitch
Il s’agit en effet selon Halory Goerger « de mener une expérience de pensée, en physique ou en philosophie analytique » pour tenter de résoudre « un problème avec la seule puissance de l’imagination, au prix de contorsions logiques étranges ». À l’énoncé de ce postulat acrobatique, grande est la curiosité de l’auditeur de repérer la mise en œuvre concrète de ses intentions sur une scène de théâtre. C’est un vide sidéral et sidérant qui s’ouvre devant lui. Une suite de gimmicks réduite à un pitch. En langue française usuelle, une énumération arrogante de trucs superficiels condensée en un baratin étique démagogique. Reste seule toutefois l’exactitude des notions scientifiques que la démonstration évoque.
Une question alors doit sans doute interpeller certains spectateurs : sommes-nous au théâtre et que vient faire une telle prestation sur un plateau ? Certes, il y a une scénographie et le public est assis sur des gradins face à la scène. Mais de situations dramatiques et de personnages point ! Serait-ce une œuvre provocatrice destinée à régler son compte à l’art dramatique ? Non plus. Pas d’interprétation de personnages, des corps muets, des voix monocordes et désinvoltes, en somme l’impression donnée d’un dilettantisme prétentieux. Une nouvelle fois le vide ennuyeux. Au bout d’une heure vingt, on s’en veut d’avoir fait l’expérience du rien et l’on s’en va avec cependant, mais c’est peu, deux émotions contradictoires. L’une négative concernant l’ultime séquence dans laquelle les spationautes amateurs se livrent à un rituel mystique avec chasubles, mitres et bruitage taraudant qui augure mal du théâtre qu’ils pourraient transmettre. L’autre positive qui donne envie de saluer l’unique travail théâtral de Corps diplomatique, celui du comédien jouant le rôle du journaliste embarqué sur le Jean Vilar. Son humanité, son travail vocal et physique nuancé sont les seules choses qui font se souvenir qu’on était au théâtre. ¶
Michel Dieuaide
Corps diplomatique, de Halory Goerger
Mise en scène : Halory Goerger
Interprétation et collaboration artistique : Albane Aubry, Juliette Chaigneau, Arnaud Boulogne, Dominique Gilliot, Halory Goerger
Régie générale : Germain Wasilewski
Développement informatique et conception des interfaces : Antoine Villeret et Cyrille Henry
Son et régie numérique : Antoine Villeret
Intégration électronique : Robin Mignot
Lumières : Annie Leuridan
Création costumes : Aurélie Noble
Musique additionnelle : Martin Granger
Regard extérieur : Mylène Benoit
Conception décor : Halory Goerger, Théâtre Nanterre-Amandiers
Conseil maquillage : Manue Brechet
Photo : © Didier Crasnault
Administration de production et diffusion : La Magnanerie
Coproduction : Scène nationale Valenciennes, Arsenic Lausanne, B.I.T. Teatergarasjen-Bergen, B.U.D.A. Kunstencentrum-Courtrai, Dublin Theater Festival, espace des Arts-scène nationale Chalon-sur‑Saône, espace Malraux-scène nationale de Chambéry et de la Savoie, Kunstencentrum Vooruit-Gand, Kunstenfestivaldesarts-Bruxelles, le Centquatre-Paris, le Manège de Reims, Le Quartz-scène nationale de Brest, Noorderzon Performing Arts Festival Groningen, Théâtre Nanterre-Amandiers, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Théâtre Nouvelle Génération • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Courriel : billetterie@tng-lyon.fr
Tél. 04 72 53 15 15
Représentations : les 24 et 25 novembre 2016 à 20 heures
Dès 14 ans
Durée : 1 h 20
Tarifs : 18 €, 15 €, 10 €, 5 €