« CultureFurax », Journée Singulière des Rencontres d’Ici et d’Ailleurs, compagnie Oposito et Le Moulin Fondu, à Garges-Lès-Gonesse

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Comment faire entendre notre intelligence ? 

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Trop, c’est trop ! Le week-end dernier, à Garges-lès-Gonesse, la préfecture n’a pas autorisé la Journée Singulière des Rencontres d’Ici et d’Ailleurs. Un travail de titan est tombé à l’eau alors que les mesures sanitaires adéquates étaient mises en place. Depuis, les artistes se mobilisent et se manifestent. Nom de code de leurs actes de résistance : #CultureFurax.

Les 26 et 27 septembre devait se tenir, à Garges-Lès-Gonesse, un festival d’arts de la rue organisé par la compagnie Oposito et Le Moulin Fondu. Trois jours avant l’évènement, la préfecture du Val d’Oise, sans aucune concertation, a annulé la manifestation. Pourtant, dans le même temps, ailleurs en France, d’autres rendez-vous culturels avaient bien lieu. Jean-Raymond Jacob, directeur du C.N.A.R.E.P. (Centre national des arts de la rue et de l’Espace public) s’insurge : « L’espace public, le plein air, est un des derniers endroits où se contracte le virus, selon le Professeur Toussaint. Pourquoi ne pas faire confiance à notre expertise, à notre professionnalisme et à notre sens des responsabilités ? Comment faire entendre notre intelligence ? ».

En effet, une semaine plus tôt, sa compagnie jouait son nouveau spectacle, Peaux bleues, sur la place de l’Hôtel de ville devant 1 500 personnes, dans un climat tout à fait serein. Pourquoi annuler, quelques jours plus tard, un rassemblement festif et fédérateur qui aurait bénéficié du même protocole sanitaire solide ? L’uniformisation des critères de décision pose question. La vie culturelle semble désormais tomber sous la coupe et l’arbitraire des préfets. Ne subsistent plus que les événements culturels défendus avec énergie et conviction par des maires militants.

Quand la saine colère recharge les batteries

La décision préfectorale n’a pas laissé longtemps artistes et techniciens dans la stupeur. Rapidement, la colère a pris le dessus et un hachtag est né pour clamer leur désaccord sur les réseaux sociaux : #culturefurax, avec un logo sur les photos de profil. « Vous êtes en colère, faites-le savoir et affichez-le », propose la page Facebook de la compagnie Oposito.

Un manifeste a aussi vu le jour : « Allons-nous les laisser continuer à casser nos métiers sans rien dire, en nous mettant au banc ? La réponse nous appartient à tous, d’où que l’on soit : techniciens, comédiens, producteurs, auteurs, prestataires de nos métiers, metteurs en scène, acrobates, jongleurs, musiciens, chanteurs lyriques ou pas… Prenons la parole tant qu’elle ne nous est pas encore complètement confisquée. Crions haut et fort que nous ne sommes plus d’accord et que nous ne sommes pas morts ! ».
Jean-Raymond Jacob est carrément FURAX. « Furax de voir, à nouveau, le travail produit par nos équipes, balayé d’un simple revers de manche.

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Furax de voir que tout le travail de concertation établi ces derniers mois avec les services de la préfecture n’aura servi à rien. Furax d’apprendre l’annulation du festival alors que les équipes sont déjà sur les routes. Furax d’apprendre, par courrier électronique, alors qu’embauche l’équipe technique, que le festival pour lequel elle s’engage est annulé. Furax de voir stoppée, dans son élan, la relation que nous construisons avec les citoyens de Garges-lès-Gonesse. Furax de voir que notre organisation, qui respecte strictement les préconisations anti-Covid, n’ait pas été prise en considération. Furax de ne pas être pris au sérieux malgré le professionnalisme dont nous faisons preuve ici et dans le reste du monde. Furax de devoir annoncer, à une jeune équipe de danseuses et danseurs venant de Guadeloupe, que leur première dans le métier n’aura pas lieu. Furax de voir un projet de territoire mené au long cours avec neuf jeunes du Val d’Oise, s’arrêter net ! Furax de voir à quel point nos métiers de la culture sont les dernières roues du carrosse pour certains. Furax de voir la casse sociale provoquée par ces réponses de non-recevoir. Furax, furax, furax ! ».

Poser des actes

Cette semaine, dans la Matinale de France Inter, Goeffroy de Lagasnerie invitait les auditeurs de la radio publique à « produire des ruptures paradigmatiques ». S’élevant contre le sentiment d’impuissance, d’inertie et de paralysie des forces progressistes, il soulignait que s’exprimer ne suffit plus. Selon le philosophe, il faut agir, ne pas respecter la loi pour forcer les institutions à légiférer dans le sens de l’humain et de la justice. Une piste à suivre ?

Au Moulin Fondu, le dimanche 27 septembre, les artistes ont choisi de ne pas démâter. « Même pas morts », clament-ils à la face des transports en communs bondés, des écoles grandes ouvertes, des lieux de consommation et autres Puys du fou qui ne désemplissent pas, horripilantes illustrations d’une politique sécuritaire et sanitaire incohérente. Ils s’interrogent : comment vivre à l’heure des interdictions de danser, jouer, se réunir… ?

Lors cette journée devenue fort singulière, les artistes ont donc joué… pour les artistes ! Jean-Raymond Jacob se félicite de ce sursaut, des actes et des prises de parole qui ont agi comme une catharsis. Jouer les uns pour les autres, prendre le temps de se parler, réaliser un festival numérique, autant de moments de partage et de lien qui ont permis de retrouver une force collective. Un temps rare et précieux.

Parmi diverses réactions artistiques fertiles, Grégoire Korganow a réalisé une superbe galerie de portraits des FURAX présents. Dix teasers et de multiples interviews ont également été engrangés dont celle de Marie-Do Fréval, toujours véhémente, qui incite les petits poissons à se rebeller. Une lettre à la ministre de la Culture a été rédigée. Un recours en référé a été déposé au tribunal. Hédo, collectif de quatre jeunes guadeloupéens, a pu faire connaître son travail. Un clip de toutes les actions menées sortira très prochainement. Surveillez la page Facebook d’Oposito et le site du Moulin Fondu.

« Enterrons les spectacles mais restons vivants »

Le poète vertical Antoine Le Menestrel devait présenter la première de son nouveau spectacle : « J’avais besoin d’un acte pour faire le deuil, de faire quelque chose » explique-t-il. Dimanche, il a donc décidé de réaliser un démontage artistique. La colère prenant le pas sur la sécurité, il a affronté les rafales d’un vent également furieux pour dérouler une banderole « Culture Furax ». Tandis que les annulations continuent de pleuvoir, laissons-lui le mot de la fin (à revoir sur Pic TV émission spéciale Garges-lès-Gonesse).

« Cet arrêté préfectoral n’est pas juste. Il est hors sol. Il n’autorise pas le «  folambule «  du spectacle La Dictature du Haut à toucher le sol. Je suis furax mais je ne baisse pas les bras. Je cherche la lézarde poétique dans le mur de l’interdit. Mes doigts s’engouffrent dans la fissure de l’incohérence. Je suis un artiste et je choisis de transformer le démontage du spectacle en un acte  » poélitique « . Je suis créatif dans l’adaptation, toujours prêt à réinventer. Je fais cordée avec toutes les compagnies présentes pour nous autoriser notre Journée Singulière. Au camp de base du Moulin Fondu nous étions notre public. La bourrasque culture furax nous emporte vers un partage qui nous fait du bien. A bientôt verticalement. » 

Stéphanie Ruffier


# Culture Furax, une action militante du Moulin Fondu

Compagnie Oposito / Moulin Fondu • Orangerie du Château • 3, rue Marcel-Bourgogne • 95140 Garges-lès-Gonesse

À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ « Et si on redescendait sur terre ? », entretien avec Antoine Le Menestrel, par Stéphanie Ruffier

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