Daniel le Grand !
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Dan Ar Braz est certainement l’un des musiciens bretons les plus connus dans le monde entier, avec Alan Stivell. Son domaine de prédilection, c’est la fusion de la musique celtique avec l’énergie du rock. Ce soir, pour la première fois, il se produit avec un orchestre symphonique.
Dans le cadre de son projet Taliesin, l’Orchestre symphonique de Bretagne présente, pour la troisième saison, des musiciens de l’Arc atlantique celte en les intégrant à l’univers de la musique symphonique. Une façon pour lui, par la mise en valeur du patrimoine et de la création musicale bretonne, de s’ancrer un peu plus dans sa région. Après Carlos Nuñez, Marthe Vassallo et Didier Squiban, c’est aujourd’hui le tour de Dan Ar Braz pour deux soirées de concert exceptionnelles au Théâtre national de Bretagne à Rennes, les 17 et 18 décembre 2015. Deux concerts donnés à guichets fermés.
Daniel Le Bras (Daniel le Grand en breton) est devenu Dan Ar Bras, par la grâce d’Alan Stivell, en 1972. Excédé qu’on ne prononce pas la consonne finale de son nom, il s’est lui-même mué en Dan Ar Braz en 1976. Une longue et brillante carrière, ininterrompue depuis les années 1970, a fait du guitariste chanteur une véritable icône de la musique bretonne.
Malgré cette immense célébrité, c’est un musicien très ému qui confie n’avoir jamais cru, bien qu’il y ait souvent rêvé, que ses « ritournelles » pussent un jour être interprétées par un grand orchestre symphonique. Comme il le dit joliment : « Mes petites ritournelles paraissent, ce soir, en habit de gala ». Et il faut reconnaître que ces habits ne paraissent ni empesés ni empruntés. C’est un très beau cadeau pour un musicien qui confesse humblement ne savoir ni lire ni écrire la musique.
Une orchestration somptueuse
L’homme qui a rendu possible ce petit miracle, c’est le compositeur, arrangeur, guitariste André Couasnon. On lui doit entre autres deux oratorios, Et sicut Phoenix… et Surrexerunt ! ainsi qu’une cantate profane, Eva Nova. Une quatrième œuvre pour orchestre et chœur est en préparation. Son univers musical se situe dans la mouvance de Philip Glass, John Adams, Steve Reich, etc., sans oublier les créateurs de musiques de film comme Ennio Morricone et John Williams. Dans le répertoire symphonique breton, il se réfère à Paul Le Flem, Pierre‑Yves Moign et Didier Squiban.
Pour ce programme, son projet était ambitieux : réaliser « la rencontre de deux univers musicaux, traités à niveau égal ». Il souhaitait que l’orchestre « ne soit pas là que pour la photo, comme trop souvent, mais surtout pour la musique ». Le succès est total, car l’orchestration est réellement somptueuse. En témoigne l’introduction de Borders of Salt, une de mes chansons préférées, où, dans une sorte d’harmonie imitative, on croit entendre les mouvements d’une mer calme. Il faudrait aussi parler d’Orgies nocturnes évocation de la ville d’Is où l’orchestre sonne comme un groupe de kan ha diskan et où les trouvailles de l’arrangeur font sourire d’aise Dan Ar Braz. Ce sera souvent le cas ce soir. Par exemple dans Delphine in the Sky dont l’arrangeur a su garder l’esprit léger tout en donnant l’impression d’une accession à l’infini, tandis que la guitare de Dan Ar Braz a les inflexions de la voix. C’est encore plus vrai pour Avec le temps de Ferré. Ici, l’orchestre constitue comme un écrin qui abrite finement la voix de la guitare, sans la moindre sentimentalité, ce qui n’était pas toujours le cas chez Ferré.
Le guitariste Dan Ar Braz chante également parfois, il reconnaît lui-même que ce n’est pas ce qu’il fait le mieux. En revanche, son jeu de guitare est un vrai régal. On peut parler de virtuose, mais en précisant que cela ne nuit en rien à la sensibilité. Du rock, il peut en avoir l’énergie et le côté carré. Mais il sait aussi se faire délicatement élégiaque, bucolique à l’occasion. L’univers celtique chez lui évite les clichés et les facilités. À soixante‑six ans, Dan Ar Braz semble au sommet de son art, une grande vedette dont le succès n’a pas tourné la tête et qui a tout l’air d’un sage.
À l’occasion du concert du 18 décembre 2015, l’Orchestre symphonique de Bretagne a également proposé, avec le soutien de la Fondation d’entreprise Banque populaire de l’Ouest et en partenariat avec les télévisions bretonnes, grâce à la jeune société rennaise ELIGA, une expérience d’interactivité originale. À l’aide d’une application spécifique, les spectateurs du concert et les téléspectateurs ont pu intervenir en envoyant en direct des messages projetés en fond de scène. La prouesse technique est remarquable, mais ce que j’ai lu à l’écran ne m’a pas paru constituer un apport décisif à l’œuvre… ¶
Jean-François Picaut
Dan Ar Braz avec l’Orchestre symphonique de Bretagne
Arrangeur et orchestrateur : André Couasnon
Direction : Derek Gleeson
Avec : Dan Ar Braz (guitare), Jacques Pellen (guitare), Patrick Boileau (batterie), Yannick Yardouin (basse) et l’Orchestre symphonique de Bretagne
Photo : Tristan Le Braz
Administrateur général de l’Orchestre : Marc Feldman
Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 27 52 75
http://www.orchestre-de-bretagne.com
Les 17 et 18 décembre 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 30
27 € | 10 € | 8 €