Debout dans la lumière
Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups
Projet porté par le collectif à géométrie variable Zone Libre, « Debout dans les cordages » est une forme hybride entre la lecture, la performance et le concert improvisé. Un moment de communion entre une guitare, une batterie et une voix, autour des mots du poète émancipateur Aimé Césaire, qu’il est plus que jamais nécessaire de partager aujourd’hui.
Créé par le guitariste Serge Teyssot-Gay et le batteur Cyril Bilbeaud, le collectif Zone Libre maintient sa présence hors des sentiers battus et des circuits de grande distribution du disque, créant au fil des projets des alliages inédits avec des poètes, des rappeurs, des slameurs, des violonistes… Au fil de ces expériences protéiformes, le collectif explore les possibilités offertes par le rock progressif mêlé de free jazz, propice à de constantes improvisations autour d’une trame établie en commun. Souvent, y résonnent des voix que l’on entend peu sur les ondes ou dans les salles de concerts mainstream. Celle de la rappeuse Casey, féministe et afro-descendante, sur le projet L’Angle mort, ou encore, sur ce projet Césaire comme sur Polyurbaine, celle de Marc Nammour, le chanteur du groupe La Canaille, qui porte une parole politique et poétique, peu médiatisée dans le rap français actuel.
Ici, le prétexte premier, c’est le texte et ce qu’il convoque. La prose d’Aimé Césaire, Français né en Martinique, auteur avec Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor du concept de négritude (élaboré en réponse à l’hégémonie culturelle coloniale), conjugue élans surréalistes et clameurs de lutte. Publié en 1939 et réédité en 1947, le long poème Cahier d’un retour au pays natal prend la forme d’un voyage initiatique, sur la proue d’un navire mémoriel. À travers lui, c’est la voix des dominé(e)s qui s’exprime dans les entrailles d’une mémoire délaissée et interdite. Une voix qui retourne l’imagerie coloniale pour montrer la réalité crue, organique, d’un système raciste et de ses conséquences durables sur l’identité, et qui ouvre, enfin, des perspectives d’émancipation.
La bande-son des sans-voix
Conscient de la résonance actuelle de ce texte, le trio en exalte à chaque instant la forme novatrice et le lyrisme politique, dans un dispositif sans esbroufe qui laisse éclater la puissance visionnaire et révolutionnaire de Césaire. L’intégralité du texte (plus de 40 pages) n’est pas livrée sur le plateau, mais la sélection qui en est faite met l’accent sur les images les plus fortes et les plus évocatrices. On est face à trois démiurges qui recréent un univers, grâce au travail de la lumière, à la présence et à la danse du conteur, aux ambiances sonores plaintives, grondantes ou conquérantes : le soleil se lève sur un morne ; des centaines d’esclaves se révoltent dans le ventre d’un bateau négrier…
Via des improvisations constantes sur une trame qui équilibre à merveille le rythme lancinant de la batterie, le lyrisme désespéré de la guitare électrique et la voix du diseur, le collectif redonne au texte toute sa portée vivante. Zone Libre réussit haut la main ce défi délicat et fait œuvre de service public en ces temps plus que troublés. ¶
Sarah Elghazi
Debout dans les cordages, une lecture-concert du collectif Zone Libre
Extraits de Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire, publié aux éditions Présence Africaine
Un projet de et avec Marc Nammour, Serge Teyssot-Gay et Cyril Bilbeaud
Lecture et chant : Marc Nammour
Guitare électrique : Serge Teyssot-Gay
Batterie : Cyril Bilbeaud
Son : Martial de Roffignac
Production : Rose Macadam / Association La Canaille
Durée : 1 h 10
Photo : © Julien Jaulin
Théâtre du Nord • 14 place du Général De Gaulle • 59000 Lille
Le 24 novembre 2017, à 15 heures et 20 heures
De 10 à 25 euros
Réservations et billetterie : 04 90 14 14 14