« Décris-ravage », d’Adeline Rosenstein, Théâtre de la Cité Internationale à Paris

« Décris-ravage » d’Adeline Rosenstein © Mathilde Delahaye

À malheur, malin et demi

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Thérapie de choc pour mémoire malade, réflexion érudite et presque dadaïste sur la question de la Palestine, « Décris-ravage » d’Adeline Rosenstein déconstruit les codes du théâtre documentaire pour mieux poser les questions. Vivifiant !

De déclarations de l’O.N.U bafouées en massacres, d’intifada en représailles, qui parvient à comprendre comment on en est arrivé là en Palestine ? L’histoire remonte bien trop loin. Le sang, les larmes et les images semblent avoir contaminé la réflexion. C’est donc à une sorte de thérapie historiographique que nous invitent Adeline Rosenstein et ses collaborateurs. La deuxième partie de Décris-ravage (celle à laquelle nous avons pu assister) s’ouvre ainsi par une réflexion sur les faits, les sources, et s’achève sur la convocation du document et du témoignage.

Mais justement, ces traditionnelles ressources documentaires sont habilement mises à distance ou détournées. Tantôt, on les prend au pied de la lettre pour leur faire un pied de nez. C’est le cas par exemple des projections prises au sens propre. Tantôt, on use de tous les néologismes et jeux de mots possibles pour retourner les discours comme des gants et renverser les perspectives. Le spectacle est donc ludique et assez verbeux. Mais on le comprend, car c’est une matière d’éviter l’hypnose de l’image et le culte de la douleur. On sent, en fait, dans l’équipe une détermination à ne pas se laisser engluer dans l’émotion. C’est ce dont témoigne encore le choix de la pantomime comique et allégorique, voire de la parabole.

« Décris-ravage » d’Adeline Rosenstein © Mathilde Delahaye
« Décris-ravage » d’Adeline Rosenstein © Mathilde Delahaye

Dada en Palestine

De cette manière, on est tenu aux aguets : pas question de se laisser aller à la passivité. Le spectacle va vite, loin, mais « à sauts et à gambades ». Il est ludique et vaguement retors. Son style, très libre, ferait presque penser à celui d’un blog tenu par un artiste dadaïste, ou par Jacques Rouxel (le créateur des Shadocks). Il sollicite donc notre intelligence et nous interdit de ranger le propos dans les placards poussiéreux des archives de l’Histoire. Il nous prend même à partie, en nous titillant sur le présent et la situation des migrants, en particulier.

Ce n’est pas forcément ce que certains attendront d’un spectacle documentaire, mais qu’ils se rassurent. Conformément à l’esthétique du genre, le spectacle présente bien un décor minimal (type salle d’attente d’administration) et met au rancard l’esthétisme. Son propos extrêmement documenté nous permet de resituer le conflit dans une histoire (voire une tératologie) du XXème siècle. Il nous fait réfléchir aux nationalismes dont l’éveil engendre les monstres, à la passivité des hommes et à l’éternel retour des génocides. Et si le savoir d’Adeline Rosenstein est gai, c’est pour rire, plutôt que se noyer dans les larmes. 

Laura Plas


Décris-ravage, d’Adeline Rosenstein

La pièce est adaptée en bande dessinée par Alex Baladi aux Éditions Atrabile

Écriture et mise en scène : Adeline Rosenstein

Avec : Olindo Bolzan, Léa Drouet, Isabelle Nouzha, Céline Ohrel, Adeline Rosenstein

Durée : 4 heures pour l’intégrale (première partie : 2 h 15, deuxième partie : 1 h 15)

À partir de 15 ans

Teaser vidéo

Photo : © Mathilde Delahaye

Théâtre de la Cité internationale • 17, boulevard Jourdan • 75014 Paris

Du 4 au 9 avril 2018, le 4 avril à 20 heures (première partie), le 5 avril à 20 heures (2ème partie), intégrales le vendredi 6 et le lundi 9 avril à 20 heures et le dimanche 8 avril à 15 h 30, relâche le 7 avril

De 7 € à 24 €

Réservations : 01 43 13 50 50


À découvrir sur Les Trois Coups :

Entretien avec Maël le Goff, festival Mythos, Rennes, Aurore Krol

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