« Dom Juan », Molière, Emmanuel Daumas, Théâtre des Célestins, Lyon

Dom-Juan-Molière-emmanuel-daumas © Christophe Raynaud de Lage

L’art du pied de nez

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Peut-on encore faire du neuf avec « Dom Juan » ? Emmanuel Daumas accompagné de la troupe de la Comédie-Française nous en apporte la confirmation éclatante avec un spectacle rapide, joyeux, cocasse, insolent et néanmoins profond.

Le plateau n’a pas été imaginé au départ par la scénographe Rahda Valli pour le théâtre à l’italienne des Célestins mais dans une disposition bi-frontale. Transformé, non seulement il arrive à être efficace tout du long, mais il s’adapte parfaitement aux différents lieux qu’il figure.

Il est vrai que ce grand tréteau carré surélevé évoque à la fois le cloître du début que le ring ou l’échafaud de la fin. À cour et à jardin, des rangées de miroirs longent cet espace permettant les changements à vue de costumes (très modernes) et l’entrée dans l’envers et l’endroit du théâtre. Ils disent ainsi que tout n’est qu’apparence.

Dans le recueillement d’un cloître juste troublé par les chants religieux entonnés par deux nonnes, Sganarelle introduit l’insolence par son célèbre monologue sur les bienfaits du tabac. Tentateur, il en offre aux deux femmes qui, bientôt, s’y adonnent avec un plaisir délicieux et coupable. Ce début est une bonne entrée en matière : le ton de la mise en scène est donné, car ce Dom Juan sera léger, gourmand et prêt à tout pour sauvegarder cette liberté si chère à son cœur.

Laurent Lafitte, tout habillé de noir, a ce qu’il faut de prestance pour incarner ce personnage séduisant, hâbleur et arrogant. Face à lui, Stéphane Varupenne, magnifique de subtilités et de justesse, compose un Sganarelle tour à tour veule, calculateur, obséquieux, crédule mais attachant.

Toute la distribution est à l’avenant : ils sont trois pour jouer la douzaine de personnages qui vont succomber aux charmes du séducteur, puis le mettre en garde et, enfin, assister à sa chute. On ne trouve qu’une seule comédienne dans cette distribution, la délicieuse Jennifer Decker qui parvient à donner une vraie texture à l’épouse offensée, comme à la jeune paysanne éblouie et inquiète de se brûler les mains et le cœur.

© Christophe Raynaud de Lage

L’autre paysanne, Mathurine, est interprétée par un Alexandre Pavlof drôlissime en talons aiguilles, moitié grande folle, moitié groupie hystérique. Elle sera ensuite, entre autres, l’austère Don Louis, tandis qu’à Adrien Simon reviennent les rôles de monsieur Dimanche et du pauvre. Parfois même ils partagent le même rôle sans nuire à la bonne compréhension de la pièce.

Une distribution impeccable

Souvent, la mise en scène se distingue par la manière d’aborder la fin de Dom Juan, avec ce qu’elle recèle de mystère, ce qu’elle suggère du sacré, ce qu’elle dit du châtiment divin. C’est là qu’apparaît sa marque, sur cette œuvre si étrange. Celle que choisit Emmanuel Daumas rappelle, dès le cloître du début, l’ombre omniprésente de l’Église, ce qui annonce les abominations qui font rendre gorge aux audacieux.

Cette lecture personnelle et contemporaine fait entendre toute la richesse de cette œuvre complexe et permet aux comédiens de jouer leur partition avec brio et intelligence. On sort vraiment ému de cette représentation menée tambour battant. 🔴

Trina Mounier


Dom Juan, de Molière

Mise en scène : Emmanuel Daumas
Avec la troupe de la Comédie-Française : Alexandre Pavloff, Stéphane Varupenne, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Adrien Simon
Scénographie et costumes : Rahda Valli
Lumières : Bruno Marsol
Son : Dominique Bataille
Maquillages et perruques : Cécile Kretschmar
Collaboration artistique : Vincent Deslandres
Durée : 2 h 15

Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 17 au 27 mai 2023, à 20 heures, sauf dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Réservations : 04 72 77 40 00 ou en ligne
De 7 € à 40 €

Tournée :
• Les 2 et 3 juin, Théâtre de Verdure à Pézenas – Festival Molière 
• Du 13 au 16 juin, Théâtre National de Nice
• Du 21 au 24 juin, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
• Du 27 juin au 1er juillet, Opéra de Versailles
• Les 5 et 6 juillet, Château du Plessis Macé à Angers – Festival d’Anjou

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Anna de Emmanuel Daumas, par Trina Mounier

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