Une maison de fous
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Pour son traditionnel spectacle qui marque le changement d’année, l’Opéra de Rennes a jeté son dévolu sur un « opera buffa » de Donizetti : du mouvement et de la gaieté garantis.
Lorsque Donizetti reçoit, en 1842, la commande d’un opera buffa, il est au sommet de sa carrière. Don Pasquale sera son 69e ouvrage. Le genre appartient alors au passé et, sous sa forme italienne classique, l’œuvre de Donizetti en constitue sans doute le chant du cygne. Mais quel chant d’adieu ! Ce fut le dernier grand succès de Donizetti, qui le vit même triompher à Paris : un de ses rêves les plus chers.
L’intrigue n’y brille pas par son originalité et reprend un schéma fréquent de la commedia dell’arte. Le théâtre de boulevard ne la renierait pas ! Un homme âgé (Don Pasquale) veut épouser une jeune Romaine (Norina). Mais la jeune fille est déjà liée au neveu du barbon (Ernesto) par un amour réciproque. Feignant de faire sienne la cause de Pasquale, le roublard Dr Malatesta, monte une machination compliquée avec un mariage truqué qui servira les jeunes gens. Donizetti enlève cette histoire sur un rythme trépidant.
Dans un décor simple mais suggestif, le metteur en scène, Sandro Pasqualetto, a choisi de transposer cette histoire dans l’Italie des années 1950. Tout rappelle l’époque : le maire et son écharpe, le curé en soutane et sa barrette (clin d’œil à Peppone et Don Camillo), les tenues des femmes et des jeunes filles avec leur fichu et le linge qui sèche aux fenêtres.
« Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur. »
Norina, interprétée par la jeune soprano Angela Nisi, apparaît d’abord espiègle et vive avec son frère, le Dr Malatesta (Marc Scoffoni, baryton). Face au barbon, elle joue parfaitement le rôle que lui a suggéré son rusé de frère. On ne saurait être plus discrète, modeste, pucelle effarouchée. À peine le mariage promptement conclu avec l’aide d’un notaire d’opérette, sa volte-face est proprement épatante. La voici changée en tyran domestique, véritable furie dépensière, frivole et irrespectueuse. Le mari bafoué est tellement abasourdi que son effondrement pourrait paraître pathétique.
Très vite cependant son naturel autoritaire reprend le dessus. Il entend commander chez lui bien que tout, même ses gens de maison, lui échappe. Dépassé par le tourbillon qui l’emporte, il semble faire sienne cette formule de Cocteau : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur » (les Mariés de la tour Eiffel). Bien mal lui en prendra. Christophoros Stamboglis (basse), avec sa corpulence et son jeu expressif, donne corps et voix à ce vieil homme amoureux. Sa composition, puissante et nuancée, apporte un peu d’humanité à ce rôle convenu du barbon tyrannique que la passion rend surtout ridicule. Face à lui, Marc Scoffoni maîtrise sans coup férir son emploi d’organisateur madré qui ne se fait caressant que pour mieux tromper. Le personnage du jeune soupirant qui se croit trahi avant de triompher est plus malaisé à incarner pour le ténor Julien Behr. Il réalise néanmoins un beau duo amoureux, très délicat, avec Norina, dans la scène nocturne finale.
S’il fallait attribuer une palme à tous ces interprètes, mon choix irait sans doute à Angela Nisi, car son rôle est le plus varié et il est très exigeant. Le registre dans lequel le compositeur la fait évoluer est très aigu et demande une vraie virtuosité dans certains passages. Son dernier air est exécuté d’une façon particulièrement brillante.
À voir la réaction ravie du public, Alain Surrans a, une fois de plus, tapé juste en choisissant cette œuvre pour préparer ou parachever les fêtes. ¶
Jean-François Picaut
Don Pasquale, de Gaetano Donizetti
Opera buffa en trois actes
Livret de Giovanni Ruffini (1843)
Spectacle chanté en italien, surtitré en français
Direction musicale : Tito Ceccherini
Mise en scène : Sandro Pasqualetto
Avec : Christophoros Stamboglis (Don Pasquale), Marc Scoffoni (Dr Malatesta), Angela Nisi (Norina), Julien Behr (Ernesto) et Jean‑Vincent Blot (un notaire)
Chef de chant : Élisa Bellanger
Décors et costumes : Valentina Bressan
Lumières : Marc Delamézière
Orchestre symphonique de Bretagne
Chœur de l’Opéra de Rennes (direction : Gildas Pungier)
Photo : © François Berthon
Opéra de Rennes • place de l’Hôtel-de-Ville • B.P. 3126 • 35031 Rennes cedex
Téléphone : 02 23 62 28 28
Décembre 2015, jeudi 31 à 20 heures
Janvier 2016, vendredi 1er à 16 heures, dimanche 3 à 16 heures et mardi 5 à 20 heures
Durée : 2 heures + entracte
51 € | 40 € | 26 € | 17 € | 11 €