Pippo le fou, Pippo le sage
Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups
Le chantre du théâtre politique Pippo Delbono est de retour. Avec « Dopo la battaglia » (en français « Après la bataille »), il livre à la fois une belle satire de l’Italie moderne et un hommage aux poètes fous qui peuplent son univers. Magnifico…
Il y a notre monde aujourd’hui, cruel, autoritaire, injuste et individualiste ; fondé sur la glorification du darwinisme social, acceptant l’idée que le « struggle for life » (la lutte pour la vie) n’est que le seul précepte qui vaille. Et puis, il y a le monde de Pippo Delbono. Ce théâtre de révolte mais aussi de tolérance, avec sa cour des Miracles, ses fous à lier, anonymes ou célèbres, et sa poésie, partout brandie comme un crucifix pour faire reculer la tyrannie et la violence des hommes. Un monde façonné par les mots d’Artaud, découpé dans les textes de Kafka, modelé dans la danse de Pina Bausch.
Il y a l’Italie d’aujourd’hui, décadente, tout entière caricaturée dans le premier tableau de Dopo la battaglia, dans lequel posent les représentants du pouvoir, bourgeois, prélats et politiciens. Une Italie à la fois figée dans sa tradition et pourrie par la télévision de Berlusconi, accablée par un système politique aussi dévoyé qu’il est médiocre. À l’image du maire d’une petite commune italienne, dont le discours en ouverture d’un festival de poésie est aussi un bel exemple de cette Italie aculturée, qui fait de sa bêtise un atout (mais s’agit-il seulement de l’Italie ?).
Et puis, il y a l’Italie de Pippo, qui danse, danse, danse au son du violon d’Alexander Balanescu ou des grands airs d’opéra. Une Italie dont on ne sait plus bien si elle existe encore ailleurs que dans cette parenthèse poétique. On y trouve les sans-nom, les différents, les exclus de la société, à commencer par Bobò, tout petit homme sourd-muet, enfermé durant quarante‑cinq ans dans un hôpital psychiatrique, avant d’être délivré par Pippo. Aujourd’hui, il est devenu son comédien fétiche. Le spectacle lui est même dédié.
« Lieu vide et esprit vide »
De ces fous, Pippo fait les vrais poètes, les convoquant aux côtés d’Antonin Artaud ou de Pina Bausch (la chorégraphe décédée en 2009 après avoir fait danser elle aussi des gens improbables apparaît à plusieurs reprises, démultipliée par la présence de danseuses en robe rouge). Au milieu de cette farandole de personnages hors-normes se promène le roi des fous. C’est Pippo lui‑même, dont la voix caverneuse nous parle comme depuis l’au-delà. Son corps massif se déplace avec cette même nonchalance, qu’il soit dans la salle ou sur le plateau. Un plateau qu’il a transformé en univers carcéral, gris et sale.
« Pour ce spectacle, j’ai pensé à un lieu vide, a‑t‑il déclaré, comme cette pièce vide, mémoire des horreurs passées, qui, cependant, porte encore les signes, les couleurs, les odeurs des prisons. Mais j’ai aussi pensé à l’esprit vide, après le cri de la passion, de l’amour, de la rage, de la douleur. Un besoin de lucidité après la folie. » Un besoin de paix, après la bataille.
C’est dans ce décor qu’il vaticine, micro à la main, reprenant à son compte les vers de Pasolini, d’Alda Merini, de Walt Whitman ou de Rainer Maria Rilke. Puis il déclenche une parade burlesque, made in Disneyland, avec masques et déguisements en tout genre… La salle est en liesse, quand soudain des images vidéo d’enfants mourants ou de boat-people à la dérive nous sont jetées à la face.
Tenter un tel mélange des genres est à la portée de tout être téméraire, mais le réussir est l’œuvre d’un magicien. Qui pour nous faire frapper dans les mains et l’instant d’après nous secouer brutalement la conscience ? Qui ? Si ce n’est, encore une fois, un pur et rare magicien… ¶
Bénédicte Soula
Dopo la battaglia
Mise en scène : Pippo Delbono
Avec : Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Bobò, Pippo Delbono, Ilaria Distante, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Mariga Maggipinto, Julia Morawietz, Gianni Parenti, Pepe Robledo, Grazzia Spinellla et la participation d’Alexander Balanescu
Musique originale : d’Alexander Balanescu
Scénographie : Claude Santerre
Lumières : Robert John Resteghini
Costumes : Antonella Cannarozzi
Traduction : Christian Leblanc
Son : Corrado Mazzone
Vidéos : Orlando Bolognesi
Construction décor : Laboratoire D ex M
Réalisation costumes : Théâtre de la Place, Liège
Régisseur général : Gianlucà Bolla
Régisseur : Mattia Manna
Surtitrage : Raffaella Ciuffreda
Photo : © Lorenzo Porrazzini
Responsable production : Alessandra Vinanti
Organisation France : Christian Leblanc
Production : Emilia Romagna Teatro Fondazione
Coproduction Teatro di Roma, Théâtre du Rond‑Point-Paris, Théâtre de la Place-Liège, Théâtre national de Bretagne-Rennes
T.N.T. • 1, rue Pierre-Baudis • 31000 Toulouse
Réservations : 05 34 45 05 05
Site : www.tnt-cite.com
Du 28 au 31 mars 2012, du mercredi au jeudi à 19 h 30 et du vendredi au samedi à 20 h 30
Durée : 2 heures
23 € | 13,50 €