Françon chorégraphie Feydeau
Par Maja Saraczyńska
Les Trois Coups
Une fois de plus (après « l’Hôtel du Libre-Échange », « la Dame de chez Maxim » et « Saute, marquis »), Alain Françon met Feydeau à l’épreuve du plateau d’aujourd’hui. Même si le texte a vieilli, sa mise en scène efficace réussit avec exemplarité à nous maintenir en haleine tout au long de quatre pièces et nous entraîne dans un tourbillon abracadabrant.
Dans ces quatre farces conjugales, Feydeau tourne en dérision des images de couples qui se déchirent. La transgression n’est pas étrangère à ce maître incontournable du vaudeville mécanique, qui expose sur scène des thèmes scabreux défiant toutes les règles de la bienséance. Le corps y est exploré dans tous ses états : des envies d’une femme enceinte jusqu’à la purgation d’un enfant terrible. Certes, le texte a (trop) vieilli et les thèmes qu’il aborde sont loin d’être universels, mais le recours à une mise en scène impeccable permet d’apprécier pleinement l’absurdité de cet univers disloqué.
La troupe composée de huit comédiens étonnants a bien évolué depuis la création du spectacle : leur machine théâtrale n’était pas suffisamment huilée pendant les premières représentations à la M.C.2 de Grenoble. Maintenant, ça y est ! Au Théâtre Marigny, le degré de mécanisation endiablée a été atteint et même surpassé… à tel point que la rapidité des répliques qui s’enchaînent à l’aveuglette ne permet pas toujours de savourer les situations comiques, et de rire tout bonnement des gags souvent mi-explorés. Mais, en tout cas, la technique des comédiens est stupéfiante, la diction irréprochable, le rythme impétueux soutenu jusqu’au bout, sans hésitation ni aucun faux pas. Ils réussissent tous à prêter généreusement leur corps à ces personnages loufoques, dépassés totalement par la situation qui mène l’allure à toute vitesse.
Françon déjoue les conventions du drame bourgeois
Tout est bien calculé : les gestes, les déplacements, les regards – et cette chorégraphie vertigineuse vaut à elle seule le détour. Le résultat est impressionnant et très réussi dans la plupart des cas, même si parfois on peut être perturbé par le fait que les acteurs se limitent visiblement à travailler sur l’intonation de chaque phrase et prennent toutes les distances possibles avec leur personnage (la prestation de Julie Pilod dans le rôle de Léonie est très troublante de ce point de vue). Mais cela permet de mieux se rendre compte à quel point Françon déjoue les conventions du drame bourgeois et de la belle salle à l’italienne. Car, finalement, ni les comédiens ni les spectateurs n’ont le temps de s’identifier au personnage.
Le choix de scénographie confirme à merveille cette volonté discrète de détruire l’illusion et de mettre en doute les codes qu’impose l’écriture de Feydeau. Quasiment identique dans tous les quatre spectacles, le décor reproduit – dirait-on à première vue – d’une façon réaliste l’intérieur d’un appartement bourgeois (un salon, un cabinet de travail, une chambre à coucher et une salle à manger). Mais, si l’on regarde de plus près, on remarque que les cadres plantés du décor sont posés sur scène telle une maquette. Ainsi, des petits signes discrets (telles les portes en relief) nous mettent en garde tout au long de la représentation et nous situent face à un pseudo-réalisme subtil, esthétisé par le travail remarquable sur la lumière (Joël Hourbeigt), qui change à chaque fois d’intensité et de source.
Cette recherche poussée sur le décalage raffiné et à peine perceptible (costumes, musique, lumière, jeu, décor) marque l’originalité de ce projet et permet de rendre ces pièces plus accessibles et plus modernes. ¶
Maja Saraczyńska
Du mariage au divorce, de Georges Feydeau
Quatre pièces en un acte présentées en deux spectacles
Théâtre, texte établi par Henry Gidel, préface de Bernard Murat, Paris, Omnibus, 1994
Mise en scène : Alain Françon
Avec : Anne Benoît, Philippe Duquesne, Éric Elmosnino, Judith Henry, Julie Pilod, Gilles Privat, Régis Royer, Dominique Valadié
Décors : Jacques Gabel
Lumières : Joël Hourbeigt
Costumes : Patrice Cauchetier
Son : Daniel Deshays
Création musicale : Marie‑Jeanne Séréro
Coiffure : Fouzia Harleman
Concept effets spéciaux : Dominique Colladant
Photo : © Michel Corbou
Théâtre Marigny • salle Marigny • carré Marigny • 75008 Paris
Réservations : 01 53 96 70 00
Du 11 janvier 2011 au 9 mai 2011
Spectacle 1 : On purge Bébé et Feu la mère de Madame les mardi et jeudi à 20 h 30 et le samedi à 17 heures
Durée : 2 h 10
Spectacle 2 : Léonie est en avance ou le Mal joli et Mais n’te promène donc pas toute nue ! les mercredi et vendredi à 20 h 30 et le samedi à 21 heures
Durée : 2 heures
50 € | 40 € | 30 € ou 37,5 € | 30 € | 22,5 € (forfait 2 spectacles)