Ma sorcière bien-aimée
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Ni récital, ni tour de chant et bien plus qu’un hommage, « Emma aime Anne » est une déclaration d’amour à Anne Sylvestre, amie de Myriam Menant. En complicité avec la pianiste Nathalie Miravette, Emma la Clown dresse un portrait qui ne manque pas de sel. Tendresse, poésie, humour et impertinence sont au rendez-vous avec une sélection de titres qui dévoilent toute la profondeur, en même temps que la légèreté, de cette grande dame de la chanson française. « Pour Anne », ne cesse-t-elle de répéter. Et pour notre plus grand plaisir.
Poétesse et conteuse, Anne Sylvestre (1934-2020) nous berce depuis l’enfance. Or, on l’a trop souvent résumée aux Fabulettes. Pourtant, elle a écrit pas moins de 276 chansons pendant les 60 ans d’une carrière sans interruption, jalonnée de nombreux concerts à guichets fermés, de voyages, de rencontres. Elle laisse derrière elle un répertoire dont on ne se lasse pas. C’est d’ailleurs au Hall de la Chanson qu’on a vu ce joli spectacle, cerise sur le gâteau d’un colloque « festif » célébrant le 5e anniversaire de la disparition de la chanteuse.
Chaleur humaine et fraîcheur
Dans Emma aime Anne, le choix des chansons donne un aperçu juste de sa personnalité, qui n’était pas qu’une féministe (une des pionnières). Avant Barbara, c’est en effet l’une des premières femmes à avoir écrit ses propres textes, ce qui lui a permis de s’exprimer en toute liberté sur bien des sujets. Elle a pu défendre le droit à l’avortement, le mariage gay, la solidarité (Si la pluie te mouille), dénoncer la discrimination (Une sorcière comme les autres), la guerre… Si l’autrice trempait parfois sa plume dans le vitriol, elle incitait aussi à l’émancipation toute en douceur, grâce à sa délicate poésie. Ses maux intimes touchent à l’universel.

L’amour avec un grand A est le fil rouge : des hommes et des femmes (les Amis d’autrefois, Carcasse, Lettres d’amour), des enfants et de la vie. Écologiste avant l’heure (Avec toi le déluge), Anne Sylvestre a tant chanté le vent, les arbres, les merveilles de la Terre et de l’océan. Elle aimait la voile, découverte aux Glénans (Veux-tu monter dans mon bateau). Elle parlait le langage de l’eau, limpide et revigorant.
Tour de chant force
En somme, Anne Sylvestre militait pour plus d’humanité. Cette sélection l’illustre bien. Emma restitue sa vivacité et son humour, parfois bravache, comme avec Bergère, une relecture des pastorales qui l’a forcément inspirée. Les Blondes est une autre une pépite. Au fil de l’eau, les saillies fusent, révélant un comique féroce. La plume est alerte. Si la Clown ne manque pas de malice afin de révéler les « sous-sens », elle est ici tellement touchante, entre maladresse et naïveté. C’est ce qu’on appelle la grâce.
On connaît bien Emma la Clown. Elle est hilarante. On aime son espièglerie, sa sensibilité et ses engagements. On découvre ses qualités vocales, qui permettent d’entendre parfaitement les paroles. Incollable, Meriem Menant a appris par cœur son répertoire. Elle connaissait bien Anne Sylvestre, faisant plusieurs premières parties de ses concerts, dont les « Lundis de la Potinière », dans les années 1990. En préambule, elle l’annonce sans ambages : « C’est moi qui l’aime le plus au monde ». Rien que ça ! Mais son admiration est sincère. Toutefois, avec la musicienne qui a accompagné la chanteuse pendant 11 ans (« Nathalie Miravette aux enluminures pianistiques », comme elle la présente), Emma la Clown livre ici une interprétation très libre de ces 14 chansons.
Un ange passe
Débordée par l’émotion, elle s’empare des premières œuvres avec emphase, vite recadrée par son acolyte qui préfère l’épure à la pantomime, sauf que la fantaisie éclate à la moindre occasion. Affublée de son nez rouge, tel l’Auguste, elle n’en manque pas une, se prend les pieds dans le tapis. Comme un clown blanc, Nathalie Miravette lui donne la réplique. La guitare n’est pas loin, même si Meriem Menant ne singe jamais. À la volée, le public chope une intonation, un geste, une intention de la disparue, dont on sent la présence, ce jour-là. Le piano se transforme en embarcation et le spectacle bascule vers quelques moments suspendus inoubliables. Ainsi, Partage des eaux est-elle un hommage vibrant aux mères, un retour aux sources.
Quel beau voyage en bonne compagnie, que d’émotions ! Portée par tant de joie et de poésie, on navigue sur les flots. Faut dire que les « mêles eaux dits » sont entraînantes ! Cette pépite entame une tournée qu’on espère longue. On peut prolonger le plaisir avec la publication de Aimer aimer et le chanter (sous la direction d’Olivier Hussenet, collection Points Poésie, novembre 2025), « La Bible » des amateurs d’Anne Sylvestre, et d’autres spectacles, tel la Vie en vrai, de Marie Fortuit à la Maison des Métallos (jusqu’au 19 décembre), qui célèbre aussi l’héritage de cette femme, à travers les voix de deux artistes d’aujourd’hui. Un fil vivant entre les générations, pour célébrer la force du matrimoine et l’audace d’être soi.
Léna Martinelli
Emma aime Anne, Emma la Clown
Site de la cie
Site de l’Agence Acoeur Productions
Avec : Meriem Menant et Nathalie Miravette au piano
Arrangements : Nathalie Miravette
Œil extérieur : Ami Hattab
Son : Romain Beigneux-Crescent
Lumières : David Duquenoy
Durée : 1 h 20
Réservations en ligne
Café de la Danse • 5, passage Louis-Philippe • 75011 Paris
Du 15 au 20 décembre 2025, à 19 h 30
Tarifs : 27 € ou 35 €
Tournée ici :
• Le 30 janvier 2026, Centre culturel d’Isle (87)
• Le 7 février, dans le cadre du Festival Détours de Chant, à Toulouse (31)
• Le 13 février, Le Cratère scène nationale d’Alès (30)
• À partir du 15 février, tournée au Québec (Canada)
• Le 6 mars, Espace Victor Hugo, à Ploufragan (22)
• Le 8 mai, dans le cadre du Festival Bernard Dimey, à Nogent (52)
• Le 16 mai, dans le cadre du Festival Chansons en Fête, Salins-les-Bains (39)
Spectacle vu au Hall de la Chanson, le 30 novembre 2025
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Trilogie d’Emma la Clown au Festival Off Avignon 2024, par Léna Martinelli
Photos : © Pascal Gely – Hans Lucas


