« En travers de sa gorge », Marc Lainé, Théâtre des Célestins, Lyon

En-travers-de-sa-gorge- Marc-Lainé © Christophe-Raynaud-de-Lage

Marc Lainé, l’illusionniste

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Avec Marc  Lainé, l’assurance d’un spectacle accompli est au rendez-vous. Scénographe brillant, metteur en scène virtuose, auteur et directeur d’acteurs, il est aussi un créateur généreux qui s’entoure d’un collectif pluridisciplinaire d’artistes. Pour ce formidable thriller, l’alchimie fonctionne encore à merveille.

À lire la feuille de salle, on est surpris et quelque peu inquiet par le sous-titre de la pièce, une trilogie fantastique (2). Personne ne l’a vue ailleurs qu’à Valence, où la première partie, Sous nos yeux, a été créée. Et pour cause : la ville permettait à l’auteur de déployer un roman graphique impliquant les habitants pour une battue à la recherche de Lucas Malaurie, mystérieusement disparu au détour d’une rue. Ce personnage, on le retrouve dans En travers de sa gorge, à l’état de fantôme. C’est donc la suite, sans l’être, comme si des ruptures s’étaient introduites dans le récit. Toutefois, nul besoin d’avoir vu Sous nos yeux pour suivre.

Marc Lainé aime semer dans ses histoires des étrangetés et des doutes comme autant de stimulants. En effet, le deuxième volet, passablement mystérieux, s’articule autour de l’épouse de Malaurie qui occupe, seule, leur maison commune face au Vercors. La disparition de son mari, sans laisser aucune trace, rend impossible de faire le deuil. La vie de Marianne est hantée par le souvenir. Dans ce rôle, Marie-Sophie Ferdane est d’ailleurs époustouflante de vérité et de complexité.

Alors surgit chez elle sans crier gare un jeune homme, très jeune, très beau, qui prétend être le disparu. À la faveur de ce qui semble bien être une crise d’épilepsie, Mehdi revient à lui, raconte qu’il sait où est le corps du défunt. La prestation de Yanis Skouta est bluffante, il rend son personnage aussi attachant qu’inquiétant.

Est-il un fou ? Un manipulateur ? Un véritable medium bien incapable de contrôler ses incarnations, comme il le prétend ? S’agit-il d’un possédé ? Qui est alors le démon ? Il semble bien que ce soit Malaurie lui-même qui apparaît de plus en plus comme un être pervers capable de tirer les ficelles de cet imbroglio. Mais alors, est-il mort ou vivant ? Ou n’est-ce pas Marianne qui devient folle de chagrin ? Comme indiqué, Il s’agit d’une histoire fantastique et celle-ci est bien difficile à détricoter. Un peu à la manière d’Anatomie d’une chute, la dernière Palme d’or remportée par Justine Triet, dont elle partage bien des aspects, à commencer par le décor et le thème de la manipulation.

Un travail de troupe

Tel un prestidigitateur, Marc Lainé sème le trouble, ne serait-ce que par la présence simultanée, sur scène, du fantôme et du medium, de Bertrand Belin, formidable en homme dépressif et tourmenté, et de Yanis Skouta, l’énigme et l’objet du désir. Lorsqu’ils partagent le plateau, ils parlent de la même voix, renforçant l’illusion. Qui parle ? Ce qui est en soi une performance des deux comédiens !

Comme d’habitude, Marc Lainé maîtrise la superposition de couches, de points de vue, de médias. On peut aussi parler de la musique de Superpoze. Alors qu’habituellement, les musiciens sont sur scène, cette fois, on n’a qu’un enregistrement fantôme. Comme toujours, la scénographie est remarquable. Plusieurs caméras filment le décor, l’intérieur de la petite maquette de la maison.

Et puis il y a deux autres femmes dans cette histoire : la maîtresse de Lucas Malaurie, Julie (excellente Adeline Guillot), qui s’est immiscée dans le cœur déserté de Marianne, amie un peu perverse, elle-même un peu paumée ; et la narratrice (Jessica Fanhan), une journaliste mandatée par un ami du couple, ancien agent de Marianne, pour la sortir de son état d’hébétude, l’aider à finir le film qu’elle voulait faire.

Mises en abîme

Ce rôle est lui aussi complexe. Chassée au départ, cette dernière va peu à peu s’intégrer à son histoire, à la fois comme témoin, juge et partie (peut-être le double du metteur en scène ?). C’est ce que suggère la fin qui se déroule dans un autre espace-temps : cette histoire n’est-elle pas finalement le récit d’un tournage ? Marc Lainé aime tellement les enchâssements !

Quoi qu’il en soit, tout concourt à déployer progressivement les tentacules de ce polar passionnant. Pas un bruit dans la salle, pas même un raclement de gorge malgré la saison ! Les spectateurs sont arrimés à cette histoire aux ingrédients romantiques d’amour, de mort, de danger. 🔴

Trina Mounier


En travers de sa gorge, de Marc Lainé

Texte, mise en scène et scénographie : Marc Lainé
Avec : Bertrand Belin, Jessica Fanhan, Marie-Sophie Ferdane, Adeline Guillot en alternance avec Clémentine Verdier, Yanis Kouta et la participation de Dan Artus, Tünde Deak, Thomas Gonzalez et de David Hanse, Farid Laroussi et Laurie Sanquer
Musique originale : Superpoze
Lumière : Kevin Briard
Vidéo : Baptiste Klein
Son : Morgan Conan-Guez
Collaboration à la scénographie : Stephan Zimmerli
Collaboration à la chorégraphie : I-Fang Lin
Costumes : Benjamin Moreau
Durée : 2 h 15

Théâtre des Célestins4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 7 au 11 novembre 2023, à 20 h 30 (jeudi à 19 h 30)
De 5 € à 40 €
Réservations : 04 72 77 40 00 ou en ligne

Tournée :
• Les 15 et 16 novembre, CDN d’Orléans, Centre Val de Loire (45)
• Les 29 et 30 novembre, Maison de la culture de Bourges, Scène nationale (18)
• Du 6 au 16 mars 2024, Théâtre du Rond-Point, Paris (75)
• Les 20 et 21 mars, Théâtre de Lorient, CDN (56)
• Les 4 et 5 juin, L’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône (71)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Entretien avec Marc Lainé, directeur de la Comédie de Valence, par Trina Mounier
Nos paysages mineurs, de Marc Lainé, par Trina Mounier

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