Coupé, coulé !
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Ballottée entre deux œuvres, une troupe engloutit beaucoup d’énergie dans un texte en perdition.
Quand Bourvil assiste à l’explosion en quatre lambeaux de sa 2 CV percutée par Louis de Funès au début du Corniaud, il s’exclame : « Elle va marcher beaucoup moins bien maintenant ! ». Souvent, je pense à cette phrase devant l’obstination de certains metteurs en scène à détruire la structure d’un ou deux classiques pour que l’on comprenne mieux ce que leurs imbéciles d’auteurs ont peiné à faire passer à la postérité. Or, une pièce de Shakespeare, de Césaire ou de tant d’autres victimes du remixage par les D.J. de la dramaturgie, ça marche beaucoup moins bien, une fois découpé en morceaux.
D’accord, c’est Césaire qui a commencé à être impertinent avec le sacro-saint texte. Fallait pas donner le mauvais exemple ! Oui, mais lui, il avait du talent quand il récrivait Shakespeare. Face au « racisme ingénu » de la Tempête, l’inventeur de la « négritude » a choisi d’inverser l’angle de vue, partant non plus de l’opinion du Blanc débarquant sur l’île de l’indigène Caliban compté pour quantité négligeable, mais au contraire du point de vue de Caliban. Si Aimé Césaire s’est donné le mal d’écrire toute une pièce parodique, peut-être aurait‑il fallu garder son rythme, sa structure, voire se risquer à la jouer intégralement…
Le rythme, il n’en manque pas, dans la compagnie cosmopolite du Mystère-Bouffe. Les comédiens sont chanteurs, musiciens, danseurs, mimes, lutteurs et que sais‑je encore. Ils évoluent dans un décor et des costumes qui ravissent l’œil, inspirés de l’esthétique de l’Afrique répondant à celle du colonialisme triomphant de l’époque charleston. L’affiche du spectacle est d’ailleurs si alléchante qu’on aurait pu imaginer un chef-d’œuvre.
Non, décidément, ce qui ne va pas, c’est le texte. Même avec un jeu d’acteur bien travaillé, les propos sont tellement outranciers qu’on peine à trouver quoi que ce soit d’utilisable pour décoder les pièges du racisme contemporain, caché sous un épais manteau de politiquement correct. Voir un Blanc hurler sur un Noir pendant une heure et demie nous plonge au mieux dans le registre du « racisme expliqué aux moins de trois ans ». Au pire, dans un ennui insoutenable. Sorti des explications simplettes, il n’y a pas de progression, pas de trame, pas de réflexion : il faut le faire, quand même, sur un thème aussi complexe et riche. Peut-être est‑ce cette littérature anticolonialiste à ses débuts qui paraît aujourd’hui un peu désuète, dépassée. D’autres pièces heureusement abordent le sujet du conflit racial 1 de manière beaucoup plus percutante parce que mûries par plus d’un demi-siècle de postcolonialisme. Pas la peine de sombrer au fond des abysses de la caricature ! ¶
Élisabeth Hennebert
- F(l)ammes, d’Ahmed Madani, à l’heure actuelle en tournée en France et de retour à Paris en mars, nous dit des choses passionnantes et inédites sur la chevelure africaine dénaturée par les standards capillaires occidentaux, sur le désir de se déguiser pour s’intégrer et autres variantes actuelles de l’éternelle friction interraciale.
Entre deux tempêtes, d’après Une tempête d’Aimé Césaire et la Tempête de William Shakespeare
Cie du Mystère‑Bouffe
Adaptation et mise en scène : Nelly Quette
Avec : Pierre Ficheux, Frédéric Kontogom, Lisa Labbé, Premyslaw Lisiecki, Sofia Lopez Cruz
Scénographie et décors : Maxime Gyé‑Jacquot, Yohann Chemoul
Création musicale : Manuel Anoyvega‑Mora
Création lumières : Maxime Gyé‑Jacquot
Combats : Florence Leguy
Masques : José Vivallo, Isabel Loyer
Théâtre 12 • 6, avenue Maurice‑Ravel • 75012 Paris
Réservations : 01 44 75 60 31
Tarifs : 15 € | 12,5 € | 9,5 €
Durée : 1 h 30
Transports : tramway T3A (arrêt Montempoivre) ou métros Porte‑de‑Vincennes (ligne 1), Porte‑Dorée (ligne 8) ou Bel‑Air (ligne 6)
Vendredi 3 février 2017 à 20 h 30 et du 28 au 31 août 2017, festival Tréteaux nomades aux arènes de Montmartre à Paris et du 11 au 14 octobre 2017, Théâtre Aimé‑Césaire de Fort‑de‑France