Des compagnies chouchoutées à Avignon !?
Par Marie Barral
Les Trois Coups
Comment agit un programmateur de salle du Off ? Telle une pieuvre aux euros dans les yeux qui étoufferait sans scrupule les pauvres compagnies ? Ou, pourquoi pas, en passionné de théâtre soucieux de défendre les artistes et de chouchouter son public ? Après avoir rencontré Claude Sévenier, codirecteur artistique du Petit Louvre *, un des plus de 100 lieux de spectacle du Off, on opte pour la deuxième option.
Vous avez fondé puis dirigé le Théâtre de Sartrouville (78) de 1966 à 2005. Depuis sept ans, vous êtes codirecteur artistique du théâtre du Petit Louvre. Comment passe-t-on de la direction d’une scène nationale, lieu subventionné proposant une programmation à l’année, au rôle de directeur artistique d’un théâtre estival ?
Un directeur de théâtre comme celui de Sartrouville construit lui-même sa programmation. À Avignon, ce sont les compagnies qui choisissent leurs lieux et les louent selon des critères multiples : jauge, emplacement, prix, conditions techniques, etc. Avec Martine Spangaro, comme directeurs artistiques, nous faisons en sorte de garantir la qualité de l’accueil et du lieu, afin de pouvoir choisir les spectacles parmi toutes les demandes.
En quoi consiste cette qualité d’accueil dont vous parlez ?
Le Off d’Avignon est un moment très violent : économiquement pour les compagnies − qui sont dans leur majorité toutes déficitaires fin juillet −, violent dans la rue, etc. Connaissant ces difficultés, l’équipe du Petit Louvre tâche d’accorder la plus grande attention possible aux artistes, et ce de mille petites manières : les conditions techniques, la propreté des loges, des conseils et un accompagnement et, surtout, le comportement respectueux de chacun des membres du théâtre. Quel que soit notre rôle dans le théâtre, nous sommes tous au service des compagnies afin que l’organisation soit la plus fluide possible. Par exemple, je participe au contrôle des billets, comme Ariane Mnouchkine le fait devant le théâtre de la Cartoucherie (Paris). Non que je veuille me comparer à Mnouchkine, loin de là, mais l’idée est la même : nous sommes au service des artistes.
En outre, toujours dans l’optique d’humaniser au maximum le festival, nous réunissons avant l’ouverture du Off toutes les compagnies qui joueront au Petit Louvre afin qu’elles puissent échanger et éventuellement mutualiser leur régie, leur matériel, etc.
Enfin, le meilleur service que l’on puisse leur rendre est de faire en sorte que le lieu soit repérable (et repéré) par sa qualité. Le théâtre a passé un accord avec le propriétaire des lieux qui nous autorise à être exigeants dans notre programmation.
Le bon accueil de l’artiste serait une exigence que vous avez héritée de votre expérience à Sartrouville ?
Ce souci est effectivement le fil souterrain qui relie mes deux expériences (et me rattache très modestement à Mnouchkine). À Sartrouville, nous avons inventé, il y a trente ans, le concept d’« artiste associé », désormais généralisé. Cette formule visait à dépasser celle de la résidence, qui implique que l’artiste soit accueilli dans un théâtre dans un cadre contractuel pour une période définie.
Les artistes, même de grand talent, peuvent se trouver dans une grande solitude. De plus, en dehors de la qualité de leurs propos artistiques, ils ne sont pas toujours compétents en matière d’organisation. Le directeur de théâtre qui choisit un artiste associé lui confie les clefs du lieu aussi longtemps qu’il le souhaite en lui épargnant les tâches organisationnelles. Ainsi, l’auteur et metteur en scène Joël Jouanneau ou la compositrice et interprète Angélique Ionatos sont restés artistes associés au Théâtre de Sartrouville une quinzaine d’années.
Dans le Off, les risques ne sont pas pris par les théâtres mais par les compagnies, dites-vous. Le théâtre du Petit Louvre fonctionne bien, toutefois auriez-vous un exemple de risque mal évalué, d’un raté ?
En 2012, le Petit Louvre affichait Où j’ai laissé mon âme, un texte de Jérôme Ferrari, mis en scène et interprété par François Duval : texte très bien écrit, beau jeu d’acteur, très bon spectacle. Malheureusement, cela n’a pas marché. Cette déconvenue pouvait être expliquée par l’âpreté du sujet (des officiers racontant l’horreur de leurs guerres), l’insuffisance de la communication, etc. Très malheureux, je passais chaque jour un peu de temps à remonter le moral de l’artiste.
Pour éviter de telles situations, nous donnons aux compagnies un petit livret de conseils pour « réussir son Avignon » élaboré grâce à notre expérience et à celles de troupes rompues aux rouages du festival. Enfin, nous pouvons dissuader des compagnies de louer nos salles, soit parce qu’il est trop tôt pour elles d’en prendre le risque, soit parce que leur spectacle n’est pas en adéquation avec l’architecture des lieux. La grande salle du Petit Louvre, la chapelle des Templiers (225 places) est par exemple peu adaptée à une pièce intimiste.
Quel temps vous prend votre travail de directeur artistique au Petit Louvre ?
Durant l’année, ce travail pour le Petit Louvre pourrait représenter l’équivalent d’un mi-temps. Cela se transforme en plein temps les semaines précédant le festival. Nous nous attelons à la programmation un an à l’avance : nous sommes dès à présent en train de préparer le Off de 2014. ¶
Propos recueillis par
Marie Barral
* Le Petit Louvre : deux salles (soit plus de 300 places) et une équipe de plus de 22 personnes au sein d’un lieu historique – une ancienne chapelle des Templiers (xiiie siècle) – qui donne aux soirées dans ce théâtre et dans la cour du restaurant un charme romantique…
Lire Hommage d’Audrey Azoulay à Claude Sévenier.
Le Petit Louvre
Chapelle des Templiers • 3 rue Félix-Gras • 84000 Avignon
Salle Van-Gogh • 23 rue Saint-Agricol • 84000 Avignon
Réservations : 04 32 76 02 79
Site : http://theatre-petit-louvre.fr/avignon/
Directeurs : Sylvie et Jean Gourdan de Fromentel
Directeurs artistiques : Martine Spangaro, Claude Sévenier
Du 6 juillet au 29 juillet 2013 (15 spectacles)
Photo : © Marie Barral