« Lewis versus Alice », d’après Lewis Carroll, la FabricA à Avignon

« Lewis versus Carroll », mise en scène de Macha Makéieff © Christophe Raynaud de Lage

Une belle énigme irrésolue

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

« Lewis versus Alice » nous plonge dans l’univers du créateur d’« Alice in Wonderland ». Si le spectacle de Macha Makeïeff oscille malencontreusement entre biographie et livre d’images, son esthétisme fascine.

Un jour, Lewis Carroll est tombé amoureux d’une petite Alice de sept ans. Alors, il a écrit un conte de fée. La pièce effleure cette « énigme » mais choisit d’en explorer une autre, celle de la création. Elle fait ainsi dialoguer deux fictions : l’une est construite autour de la figure de l’auteur britannique, l’autre concerne le roman d’Alice (qui comprend plusieurs versions, une suite et un poème en huit « crises »). Ce face-à-face entre le créateur et l’œuvre ne manque ni de beauté ni de fantaisie, seulement il verse trop dans le didactisme ou la facilité et nous laisse un peu froids.

Dans la première partie consacrée à l’identité de l’écrivain, deux comédiens incarnent Carroll, dont le vrai nom était Charles Lutwidge Dodgson. L’un joue Charles, un poète fantasque d’un certain âge, et l’autre Lewis Carroll, son double victorien de 24 ans : un jeune homme créé par la famille, la critique et la postérité. Les doubles évoquent tour à tour l’invention d’Alice, la légende née après leur mort, les funérailles, la maison vidée, leur œuvre censurée (excepté Alice’s adventures in Wonderland). Deux Alice (anglaise et française) apparaissent sur scène et leur font écho. Puis, un lapin en retard nous entraîne vers un autre questionnement (la deuxième partie s’intitule « Crise II : un bonheur, l’enfance ? »).  Les parents de Charles sont alors dépeints (le père pasteur, les onze bébés de la mère); le harcèlement au pensionnat est raconté, tandis que se déploient des saynètes métaphoriques. On assiste par exemple à un dialogue entre deux rois Henry, lequel symbolise l’opposition entre père et fils, autant que l’influence des drames de Shakespeare dans la vie du jeune Charles. Tandis que les personnages du célèbre conte de fée surgissent sur le plateau, la jeune fille déclare : « parfois, les enfants me terrifient ». Cet entrelacs d’éléments biographiques, de figures et de visions, ne nous convainc pas encore. Elle manque d’originalité et d’émotion.

Pourtant, les scènes qui se succèdent ou s’entremêlent selon une logique onirique sont exquises. La scénographie, la lumière, les costumes et la musique, exceptionnels. Deux miroirs aux reflets parfois nets, parfois incertains, sont disposés sur le plateau, ainsi que des animaux empaillés, un lit-cage impressionnant et autres curiosités. On découvre les objets et les créatures extravagantes qui peuplent l’imaginaire de Charles; on traverse l’histoire d’Alice (ses personnages, ses épisodes clés, ses créations lexicales, ses questionnements philosophiques). Un univers d’une inquiétante étrangeté cohabite avec un autre, réglé par les conventions de la société anglaise du XIXe siècle, et tout aussi insensé.

« Lewis versus Carroll », mise en scène de Macha Makéieff © Christophe Raynaud de Lage
« Lewis versus Carroll » – Mise en scène de Macha Makéieff © Christophe Raynaud de Lage

Une obscure fascination pour l’enfance

Au fil de la pièce, des liens se tissent entre la fillette qui ne sait plus qui elle est, se noie dans ses larmes, n’est qu’une « figurante dans un rêve », et son créateur. Un homme sidéré devant son miroir, amoureux de l’enfance, qui sublime son vécu et ses rêves. Dans cette seconde moitié du spectacle, qui s’intéresse à l’attachement trouble de Charles pour un âge organique perdu, les images, d’une qualité et d’un achèvement rares, nous émeuvent enfin. On regrette donc que cette énigme-là ne soit pas davantage approfondie : il ne s’agissait pas de questionner les tendances pédophiles de l’écrivain (Macha Makeïeff s’y refuse), mais de donner plus d’importance à une fascination complexe pour l’enfance, l’imaginaire débridé et le nonsense.

Quoi qu’il en soit, les comédiens, également chanteurs, danseurs, magiciens, livrent tous des performances remarquables. La troupe parvient à créer une atmosphère poétique, teintée de romantisme gothique et d’humour british intemporel. Mais sans la création musicale, l’ensemble ne serait resté qu’un beau livre d’images grandeur nature. Rosemary Standley (du groupe Moriarty) nous envoûte tout du long avec ses chansons anglaises ténébreuses. Sa voix de fée imprègne le spectacle d’une intensité singulière et finit par nous emporter dans le beau rêve énigmatique d’Alice, Charles ou Lewis.

Lorène de Bonnay


Lewis versus Carroll, d’après Lewis Carroll

En lien avec l’exposition Trouble-fête, collections curieuses et choses inquiètes, à la Maison Jean Vilar

Adaptation, mise en scène, costumes et décor : Macha Makéieff

Avec : Geoffrey Carey, Caroline Espargilière, Vanessa Fonte, Clément Griffault, Jan Peters, Geoffroy Rondeau, Rosemary Stanley et, à l’image, Michka Wallon

Durée : 2 heures

À partir de 12 ans

Photo © Christophe Raynaud de Lage

La FabricA • 11, rue Paul-Achard • 84000 Avignon

Dans le cadre du Festival d’Avignon

Réservations : 04 90 14 14 14

Du 14 au 22 juillet 2019 à 18 heures

De 10 € à 30 €


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