Que de merveilles !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Une « Alice » infiniment contemporaine, un spectacle éblouissant au service du sens… Emmanuel Demarcy‑Motta signe là un petit bijou. Reprise de cette création tout public qui a déjà remporté un vif succès la saison dernière.
150 ans ! Alice est éternelle. Depuis tout ce temps, elle en a fait rêver des gens, avec ses drôles de créatures : le Chapelier, le Lapin pressé, le Chat de Cheshire, Bill le lézard… L’Alice de Fabrice Melquiot continue à transporter petits et grands. Dans son épopée, il convie plusieurs invités de marque : le Petit Chaperon rouge, envieux, qui trouve sa propre histoire nulle et veut participer à l’aventure ; ou encore Pinocchio, amoureux de Roxanne, candidat à une audition pour devenir Cyrano de Bergerac. En plus de ces libertés, l’auteur signe ici une brillante adaptation en apparentant presque l’héroïne à Antigone.
Dans son roman d’initiation, Lewis Carroll, un professeur qui n’avait pas son pareil pour contourner la censure puritaine de son époque, a imaginé un voyage fantastique où la curiosité, la soif de découverte et la faculté d’étonnement mènent Alice loin, bien au‑delà des apparences et d’un réel convenu. Fait de la même étoffe, le personnage de Melquiot voit sa créativité décuplée et sa capacité de révolte marquée. Cette « petite fille très compliquée », comme elle se présente elle-même, l’affirme d’emblée : elle désire apprendre à sourire, à rêver, à dire non. C’est cette faculté d’émerveillement et cette volonté farouche qui ont aussi inspiré Emmanuel Demarcy‑Motta. Complices de longue date, tous deux ont puisé dans cette fantasmagorie de quoi valoriser les puissances de l’imaginaire et dans ces personnages d’étonnantes résonances contemporaines.
Si le monde n’a aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ?
Merveilles au service du sens
Grâce à l’agencement des scènes – efficace – et la mise en scène – limpide – l’histoire gagne en simplicité. En effet, pas toujours facile à suivre ces imbrications multiples. Pourtant, cette version nous embarque : « Tout est possible puisqu’il ne m’arrive que des choses impossibles ! ». Le public comprend vite qu’il peut se passer tout et n’importe quoi. Spectaculaire, cette Alice-là ne lésine alors pas sur les effets : l’héroïne grandit et rapetisse à vue d’œil, rencontre mille embûches, court, vole, se téléporte presque ! L’utilisation d’un bassin rempli d’eau offre non seulement d’infinies possibilités, très esthétiques, infiniment poétiques. Mais encore celui-ci est central dans la dramaturgie. Car, si cet univers flottant relève de l’onirisme, il traduit aussi l’instabilité qui oblige les protagonistes à évoluer. Et quoi de mieux pour élever Alice, ce personnage au caractère bien trempé ?
Surtout, les effets de miroir, comme toutes les autres trouvailles visuelles ou sonores, sont au service du sens. « Si le monde n’a aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? », en déduit Alice, après avoir croisé tous ces personnages surréalistes et surmonté les différentes épreuves. Quoi qu’on en pense, ce texte n’est pas sans queue ni tête ! De nombreuses questions philosophiques y sont abordées : l’engagement, la mise en perspective, le rapport au temps… Et Emmanuel Demarcy‑Motta traduit chaque idée sur le plateau. Avec talent.
Ainsi, il a travaillé minutieusement le rythme du spectacle – ralenti, diffracté, accéléré – dirigeant au plus près sa troupe gonflée d’énergie. Une folle sarabande menée tambour battant par Suzanne Aubert, qui incarne Alice avec fraîcheur et combativité. Autre idée lumineuse : pour casser l’illusion, le metteur en scène n’hésite pas à montrer la machinerie du théâtre. Enfin, les références abondent, notamment à Tim Burton, lequel s’est beaucoup inspiré de Lewis Carroll, ou encore Ionesco, son auteur fétiche. Des Pink Floyd jusqu’à Tears for Fears, les extraits musicaux délibérément éclectiques ajoutent un grain de folie dans la joyeuse absurdité de ce monde.
Certes, Emmanuel Demarcy‑Motta refuse d’édulcorer : sa Reine de cœur est féroce, son Grand Méchant Loup effrayant à souhait, la Barbie, une poupée barbue et cruelle, comme le marché du jouet. Dans cette critique de notre société à peine voilée, la violence infuse. Toutefois, cette étourdissante succession de tableaux, qui s’achève en comédie musicale, ne manque pas d’humour, avec ces nombreux clins d’œil et idées farfelues. D’ailleurs, comme toujours, la scénographie contribue à la réussite de l’ensemble. Le génial Yves Collet installe les personnages surréalistes et colorés dans un décor inspiré de la fontaine des Automates du Centre Pompidou, œuvre en mouvement conçue par Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle qui convient ici parfaitement. Sans oublier les costumes, particulièrement créatifs, et les lumières, sublimes.
Ainsi réinventée, l’histoire gagne encore en force, élevant la puissance du rêve et la révolte au rang d’art. Une vraie fête pour les sens qui exerce un pouvoir de fascination tout en nous éclairant sur le monde. Bref, un divertissement intelligent ! ¶
Léna Martinelli
Alice et autres merveilles, de Fabrice Melquiot, d’après Lewis Caroll
Texte publié chez L’Arche éditeur
Mise en scène : Emmanuel Demarcy‑Motta
Avec : Suzanne Aubert, Jauris Casanova, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Sandra Faure, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Gérald Maillet, Walter N’Guyen
Assistant à la mise en scène : Christophe Lemaire
Scénographie : Yves Collet
Lumière : Yves Collet et Christophe Lemaire
Costumes : Fanny Brouste
Son : David Lesser
Vidéo : Matthieu Mullot
Masques : Anne Leray
Maquillage : Catherine Nicolas
Objets de scène : Audrey Veyrac
Conseiller artistique : François Regnault
Photos : © Jean‑Louis Fernandez
Théâtre de la Ville • 2, place du Châtelet • 75004 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
Site du théâtre : www.theatredelaville-paris.com
Du 9 au 24 septembre 2016 à 19 h 30, sauf les mercredi, dimanche et le samedi 24 septembre à 15 heures, relâche le lundi
Durée : 1 h 15
26 € | 22 € | 17 € | 16 € | 13 € | 10 € | 5 €
Tout public (à partir de 7 ans)
Tournée :
- Les 21 et 22 octobre, au Grand Théâtre de Provence, Aix‑en‑Provence
- Du 29 novembre au 2 décembre, la Coursive, scène nationale de La Rochelle
- Les 8 et 9 décembre, scène nationale de Sète et du Bassin‑de‑Thau
Une réponse
Pas tout a fait d’accord. Si on adore Mr Demarcy Motta , on a là l’impression qu’il a réalisé un spectacle au pied levé pour toucher les subventions qui sont encore attribuées pour les spectacles jeune public. Là il ne s’adresse ni aux jeunes qui s’ennuient ( Ceux qui étaient à côté de nous en tous les cas) ni aux adultes qui ne voient rien de spécial sinon une machinerie mise au service d’un texte très pauvre. Ni pour les jeunes ni pour les vieux . dommage.