Entretien avec Jean‑Marc Aymes et Olivier Lexa à propos du festival Mars en baroque 2016 à Marseille

Jean-Marc Aymes © Marie-Ève Brouet

Un art qui se replie sur soi est destiné à mourir

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Le festival Mars en baroque 2016 connaîtra, cette année, sa 14e édition du 3 au 27 mars 2016 à Marseille. Son thème sera : « Le peuple, le roi, de l’église à l’opéra ». « Les Trois Coups » ont rencontré Jean‑Marc Aymes, directeur artistique du festival et Olivier Lexa qui y signera une mise en scène de « l’Oristeo » de Francesco Cavalli.

Comment définiriez-vous le festival Mars en baroque ?

Jean-Marc Aymes : Définitivement « baroque » ! Tout d’abord par la multiplicité et la diversité des évènements : opéra, musique sacrée, concerts, « œuvres culinaires » originales, cinéma, conférences, débats, exposition, etc. Ensuite par la thématique. Durant toute l’époque baroque, l’art, et plus généralement la société, n’a cessé d’osciller entre le sacré et le profane, le recueillement dans l’église et l’étourdissement de l’opéra, le dépouillement et l’exhibition sans vergogne de richesses invraisemblables, souvent fruits de vols manifestes. C’est ce foisonnement et ces interrogations, qui sont au cœur des problématiques artistiques et sociétales actuelles, que nous essayons de déployer dans ce festival, même si la musique reste évidemment au cœur de la manifestation, tout au long du mois de mars.

En 2015, le thème du festival était « Le roi, le peuple ». Cette année, vous inversez les termes avec « Le peuple, le roi, de l’église à l’opéra ». Quelle signification donnez-vous à cette transformation ?

Jean-Marc Aymes : C’était tout d’abord un clin d’œil, et une volonté de dire que le peuple avait aussi joué un rôle prépondérant dans l’évolution de l’art à l’époque baroque. Mais, comme nous avions décidé à la fois de nous lancer dans l’opéra et de faire ce cycle de musique sacrée, le sous-titre s’est imposé pour cerner au plus près nos intentions. Néanmoins, le choix d’une thématique a ses limites dans l’élaboration d’une programmation, et l’intérêt est aussi, et peut-être avant tout, que les gens entendent la meilleure musique possible avec les meilleurs interprètes. La thématique est aussi un moyen de faire un choix parmi des centaines de propositions artistiques tout aussi merveilleuses…

Un des évènements de ce festival sera, à coup sûr, le cycle de concerts Musique sacrée en Méditerranée. Pouvez-vous nous le présenter ?

Jean-Marc Aymes : L’époque baroque a vu le triomphe de la musique dans les églises, que ce soit pour les catholiques ou pour les protestants. Mais ce triomphe n’a pas toujours été très bien vu par certaines tendances des autorités religieuses. Les rapports entre la musique et le clergé n’ont pas toujours été évidents, et ne sont pas, encore de nos jours, aussi faciles que l’on croit. D’autre part, le « retour » au baroque peut cacher des tendances légèrement passéistes, qui ne sont pas du tout les nôtres. Confronter les musiques destinées aux traditions chrétienne (en l’occurrence « populaire » si l’on considère le répertoire corse), juive (musique baroque écrite pour la synagogue) et musulmane (musique soufie de la tradition de Fès) permettait à la fois de mettre un focus sur les populations du bassin méditerranéen – ces cousins qui ont parfois bien du mal à s’entendre –, de rappeler que l’art n’a pas toujours des rapports faciles avec la religion – même si on le considère comme une émanation du sacré – et de combattre toute tendance de repliement sur le patrimoine comme refuge à des penchants à l’exclusion. Un art, comme une société, qui se replie sur soi est destiné à mourir…

« Qui trop embrasse, mal étreint » dit-on. Mars en baroque semble faire feu de tout bois : multiplicité des lieux, variété des esthétiques (jusqu’au jazz et aux musiques actuelles), diversité des champs culturels visités incluant la gastronomie, vous l’avez rappelé. Ne craignez-vous pas que ce que certains qualifieraient de dispersion ne nuise à la clarté du propos ?

Jean-Marc Aymes : Encore une fois, une thématique a ses limites. Nous n’avons pas de « propos », mais plutôt un but : retrouver le sens premier du mot festival, la fête. En l’occurrence, nous préférons privilégier une fête des sens et de l’esprit. Le baroque c’est aussi « l’impureté » qui enrichit, la multiplicité qui attise la réflexion. Marseille est une ville essentiellement baroque, multiple, multiculturelle : on ne peut pas y organiser un festival de musique comme à Lyon ou à Toulouse. L’histoire des populations, l’histoire des arts, y sont différentes, plus « impures », mais, à mon sens, plus riches aussi, et singulières. Ce festival se veut un reflet, certes modeste mais engagé, de cette diversité. Nous attendons beaucoup, par exemple, de la journée de « Friche en baroque » à la Friche de la Belle-de‑Mai. Brassage de publics, de disciplines (musique, art culinaire, art numérique, jonglerie…), dans un lieu pas vraiment destiné à la musique « classique », et le tout sous le double signe de… Papa Bach et de l’improvisation !

Je me tourne peut-être plus spécifiquement vers vous, Olivier Lexa. Pour le metteur en scène que vous êtes, en quoi la recréation mondiale de l’Oristeo de Francesco Cavalli peut-elle être considérée comme l’évènement phare de la 14e édition ?

Olivier Lexa : Il est extrêmement rare d’avoir l’opportunité de recréer un opéra. Monter une nouvelle production d’un spectacle dont on sait avec certitude qu’il n’a pas été joué depuis plus de trois cent cinquante ans est une expérience particulièrement marquante. Mais cela n’est pas tout : avec l’Oristeo, l’on est en face d’un immense chef-d’œuvre, tant par sa musique ensorcelante que par son livret désopilant. Ce qui se passe en ce moment, à travers l’exhumation de cet ouvrage lyrique, est extraordinaire.

Comment avez-vous choisi de monter cette œuvre du xviie siècle ?

Olivier Lexa : Nous devons tout à Jean‑Marc Aymes qui est à l’origine de cette initiative. Il est venu voir mon dernier spectacle à Venise, produit par la Fenice. Il l’a apprécié et m’a demandé quels opéras de Cavalli restaient à recréer. Je venais de publier la biographie du compositeur, chez Actes Sud. Nous avons choisi ensemble cette œuvre ; et je dois avouer qu’au moment du choix, nous savions que cet opus valait vraiment la peine. Mais nous ne savions pas encore qu’il s’agissait d’un des meilleurs opéras de Cavalli, une pépite…

Puisque c’est un choix commun, voulez-vous bien, l’un et l’autre, nous dire ce qui vous séduit dans la musique de Cavalli ?

Jean-Marc Aymes : Francesco Cavalli est sans conteste le plus grand compositeur d’opéras du xviie siècle, et un des plus grands de tous les temps. L’Oristeo, certainement à cause de la difficulté à lire le manuscrit (qui est de la main même de Cavalli), n’avait jamais été repris de nos jours. C’est pourtant, à mon sens, une des œuvres les plus géniales et des plus modernes du compositeur. Pourquoi ? Avant tout pour ses vertus théâtrales. L’efficacité de l’œuvre dépasse de loin beaucoup de pièces purement théâtrales. Cavalli, s’appuyant sur le livret de son complice Faustini, a trouvé un langage musico-dramatique d’une efficacité incroyable, passant avec un naturel confondant du récitatif à l’aria. Par ailleurs, on découvre dans l’œuvre des types de personnages ou de groupes de personnages qui vont se retrouver tout au long de l’histoire de l’opéra. Le groupe des trois Grâces, par exemple, préfigure directement les trois Dames de la nuit mozartiennes. En aussi poétique et plus drôle ! Et si le jardinier Oresde, libidineux et pleutre, peut évoquer Monostatos, le roi Oristeo, partagé entre ses tentations de se déguiser (donc d’user de tromperie) pour reconquérir sa princesse, et sa propension naturelle à la noblesse et à la justice, est un personnage infiniment riche. Cavalli lui offre une musique complexe, attentive aux moindres nuances de son évolution psychologique. Nous voilà loin de la systématisation stérile des productions opératiques de la fin du baroque ! Nous sommes donc persuadés que cette reprise va permettre à l’Oristeo de s’imposer dans le monde de l’opéra au même niveau que le Couronnement de Poppée de Monteverdi, ou la Callisto de notre cher Cavalli.

Olivier Lexa : La comparaison avec Mozart est particulièrement juste : il y a dans la musique de Cavalli une forme de naturel que je ne retrouve que chez le compositeur de Così fan tutte – opéra auquel fait aussi penser l’Oristeo, avec ses deux couples qui se retrouvent à la fin, en manière de happy end !

Merci à vous, Jean‑Marc Aymes et Olivier Lexa.

Propos recueillis par
Jean-François Picaut


Festival Mars en baroque 2016 à Marseille

14e édition du 3 au 27 mars 2016

Production : Concerto Soave

Direction artistique : Jean‑Marc Aymes

http://www.marsenbaroque.com/

Contact : Arielle Berthoud (attachée de presse)

Tél. 00 33 (0)6 09 70 72 18

arielle.berthoud@noos.fr

Photo de l’affiche Mars en baroque © D. R.

Photo de Jean‑Marc Aymes : © Marie-Ève Brouet

Photo de Olivier Lexa : © D.R.

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