Entretien avec Vincent Dheygre, président des Écrivains Associés du Théâtre

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« Comment comprendre un traitement aussi inéquitable ? »

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Auteur, metteur en scène, ancien administrateur (Théâtre 95 scène conventionnée aux écritures contemporaines et théâtre-école Le Samovar), Vincent Dheygre est président des Écrivains Associés du Théâtre depuis juin 2019. Voici ses réactions suite au maintien de la fermeture des lieux culturels.

Que vous inspirent les dernières décisions gouvernementales ?

Les musées, les théâtres, les cinémas restent fermés. Un secteur tout entier est à l’arrêt, bien qu’il contribue, pour une part non négligeable, au PIB, mais aussi à la vitalité démocratique et au soft power de la France. Comment comprendre un traitement aussi inéquitable ?

Comment comprendre que repeindre le plafond des toilettes est une activité essentielle, si on en juge par la longueur exceptionnelle des files d’attente en plein confinement dans les grands magasins de bricolage ? Comment comprendre que les lieux de culte peuvent officier dans un pays qui ne comporte qu’un tiers de croyants ? Prier par groupe de trente est-il une activité essentielle ? Comment comprendre que les expositions sont fermées quand la boutique du tatoueur est ouverte ? Comment comprendre que la vente directe de livres en « présentiel » a été interdite ? Comment comprendre que la seule façon de regarder un film est de le faire sur une plate-forme de streaming ? Comment comprendre que l’accès aux grandes œuvres et à l’architecture, à la musique, au spectacle vivant, aux beaux-arts, au cinéma, ne peut se faire qu’individuellement, à distance, et de préférence sous forme numérisée ? Comment comprendre que tous les lieux consacrés au lien entre les hommes, au débat, à l’échange, à la réflexion, à la beauté, à l’humour, à la liberté d’expression, à la curiosité humaine, à l’amour, à la pratique collective (culturelle, sportive, syndicale) soient confinés, bâillonnés, fermés quand tout ce qui relève de la consommation individuelle reste parfaitement accessible ? Comment comprendre que le confinement est levé, et « en même temps » que le couvre-feu est rétabli, l’attestation dérogatoire maintenue, le déplacement autorisé entre régions, mais pas vers les salles de spectacle, que « tout rassemblement sur la voie publique est interdit » ? Comment comprendre que le nombre de victimes de la Covid dans les pays occidentaux est proportionnel au degré de néo-libéralisme dans les politiques nationales des pays concernés ? Comment comprendre que l’enseignement des humanités disparait, tandis que les think-tank prolifèrent ?

Cela n’est-il dû qu’à un manque de concertation ?

Nous avons négocié. Nous avons dialogué. Nous avons toujours privilégié la concertation plutôt que la révolution. Nous avons cherché et trouvé des solutions. Certaines, bien trop peu hélas, ont été mises en œuvre avec succès. Plus, nous avons rencontré des politiques, des hauts fonctionnaires au ministère de la culture compétents et réactifs, malgré le turn-over important au sein des services. Ils ne pèsent rien.

Malgré le travail incessant des organisations professionnelles, des salariés, des bénévoles, des artistes, des techniciens, des structures publiques ou privées, la culture perd la bataille. Elle est systématiquement évacuée des arbitrages.

Quelles seront les conséquences de cette pandémie sur le secteur ? Et plus particulièrement pour les auteurs ?

Les professionnels du secteur ont tous vu leurs revenus considérablement diminuer. Les auteurs ne relèvent pas du régime de l’intermittence. Les plus fragiles ne touchent plus un euro depuis le 15 mars, leur survie ne dépendant que du fonds national de solidarité. Le ministre de l’économie a récemment déclaré que ce fonds disparaîtrait au 31 décembre, sauf pour quelques entreprises.

Et au-delà du secteur culturel ?

L’encre du contrat social s’efface, les Lumières s’éteignent. Tout ce que dit le citoyen peut être retenu contre lui. Le consommateur solitaire est adulé, l’individu prime sur le groupe, la communauté sur la nation, le profit privé sur l’intérêt collectif, la multinationale sur l’État, la force sur le Droit.

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© Écrivains Associés du Théâtre

Quelles actions envisagez-vous ?

Je ne suis pas croyant, je n’adhère pas à un parti politique, je porte un masque quand je sors, je suis partisan des vaccins (même si je vais attendre un peu avant de profiter de l’offre si généreuse de Pfeizer and co…), je m’informe régulièrement par sources multiples et diverses, je me lave les mains au gel, je continue à remplir mes devoirs de citoyen, je donne des cours de théâtre par visio dans la douleur pour préserver le lien avec mes élèves, par soucis d’éducation populaire et du service dû au public (bien que n’étant pas fonctionnaire). J’essaie de m’adapter, de prévoir, et d’agir, résolument mais sans précipitation. Je combats les thèses de l’extrême droite chaque fois que j’en ai l’occasion (t une bonne partie de celles de l’extrême gauche, les deux partageant souvent, sans s’en apercevoir, des théories qui séparent plutôt qu’elles ne rassemblent).

Je suis un modéré. Mais je suis en colère. Nous sommes des centaines de milliers au sein du secteur culturel, des dizaines de millions au dehors. Car la colère monte, la révolte s’organise. Face aux sabres, aux goupillons de toutes confessions et aux injonctions du Black Friday, les plumes s’affutent et les plumes sont des armes. Crions, parlons là où on ne nous attend pas, alertons, ridiculisons les faux dévots, portons l’acier du stylo dans la plaie suppurante de la corruption. Et puisque la liberté est surveillée, l’égalité une option payante et la fraternité un argument mercantile, osons la solidarité et entrons en résistance.

C’est-à-dire ?

Si ce n’est pas suffisant, nous occuperons les théâtres, les rues, les cafés, les squares et les cinémas. Nous organiserons des forums dans les églises, les mosquées, les synagogues, les temples et les hypermarchés. Nous rappellerons aux citoyens l’étendue de leurs droits, déjouerons les pièges creusés pourtant sous nos pieds. Si les lieux où nous parlons restent fermés, indépendamment d’une juste évaluation du risque sanitaire, c’est donc bien la circulation de la parole qui est visée. Alors, nous la prendrons partout. La plume est une arme. Nous allons faire usage de la force. Et nous nous en souviendrons dans les urnes. 

Propos recueillis par
Léna Martinelli


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