Entretien, Corinne Loisel, Les Zébrures de printemps, Limoges

Corinne-Loisel-les Zébrures de printemps, les Francophonies © DR.jpg

Le réel sous toutes ses boutures

Propos recueillis par Laura Plas
Les Trois Coups

Temps forts des écritures francophones, les Zébrures de printemps n’ont cette année pas moins de dix visages que nous découvre la responsable de la Maison des auteurs·ices : Corinne Loisel. Un kaléidoscope à tourner pour décliner la francophonie et entendre les cris du monde.

Au sein du dispositif « les francophonies, des écritures à la scène », vous êtes en charge de la partie consacrée aux écritures et en particulier de la maison des auteurs·ices. Pouvez-vous nous parler des Zébrures de printemps ?

Depuis quatre ans, Hassane Kassi Kouyaté a souhaité rythmer l’année de deux temps : Les Zébrures de printemps permettent d’entendre les textes dramatiques pour la première fois. C’est donc une étape à la fois importante dans le chemin qui les conduit à la scène (qui peut se faire lors des Zébrures d’automne, le deuxième temps de l’année) et dans le processus d’écriture des auteurs·ices.

Vous coordonnez les activités proposées lors des Zébrures de printemps et avez œuvré à la programmation. Pourriez-vous tout d’abord nous parler des textes qui sont promis à une mise en scène pour les Zébrures d’automne en 2024 ?

Ils résonneront avec l’actualité. À Cœur ouvert, tout d’abord, d’Éric Delphin Kwegoué ne pourrait sans doute pas être joué au Cameroun car il s’inspire du meurtre d’un journaliste survenu en juin 2023. La pièce pointe la brutalité des dirigeants, leurs détournements de fonds publics, ainsi que la compromission des services de renseignements. Sa forme est celle du polar, mais elle adopte aussi certains codes haletants des séries.

Ensuite, nous allons réentendre dans une version différente un texte dont la mise en voix lors des dernières Zébrures de printemps avait réamorcé le processus d’écriture. Il s’agit de Je suis blanc et je vous merde de Soeuf Elbadawi. Cette fois, le texte résonne aussi avec le projet de réforme de la nationalité qui distinguera le cas de Mayotte des autres territoires des Comores, rendant des habitants clandestins sur leur propre terre.

Alexandra Guenin © Christophe Péan

Et à plus longue échéance ?

Trois textes auront accompli leurs métamorphoses pour les Zébrures d’automne de 2025. Bois Diable de la guyanaise Alexandra Guénin nous présente le parcours d’une jeune femme du Congo à la Guyane, en passant par l’Europe. C’est une comédie, dont le mot de la fin ne sera pas donné lors de cette édition, mais qui interroge le passé colonial.

Dans Fadilha, le burkinabé Aristide Tarnagda met à l’honneur la vaillance et la dignité des femmes et raconte l’embrigadement des hommes. Enfin, la Naissance du tambour, projet commun d’un écrivain Dorci Rugamba et d’un chorégraphe, metteur en scène Josué Mugisha. On y voit comment les grands tambours royaux structurent les mythes fondateurs du Burundi. C’est un dialogue entre tradition, lyrisme et formes contemporaines de l’écriture.

Les lectures se réduisent-elles à des ébauches de spectacles ?

Non, on n’est pas encore dans une mise en espace, mais pas dans une simple lecture à la table non plus. De fait, les textes sont confiés à des comédiens professionnels ou à des élèves comédiens qui mettent le ton, répètent avant chaque lecture. Par ailleurs, le moment est d’une grande richesse à la fois pour le public qui a l’occasion de prêter oreille au texte sans être diverti, et pour les auteurs·ices qui lors d’un week-end, peuvent écouter leurs textes et échanger.

Dans le cadre de partenariats avec l’ESTU, d’une part, et l’école ACTE de Port-au-Prince, d’autre part, vous favorisez la découverte des écritures francophones auprès de jeunes comédiens, mais vous accompagnez aussi de jeunes autrices. Pouvez-vous nous en parler ?

Chaque année, les résidences « Découvertes » accompagnent trois autrices. Les artistes sélectionnées profitent de deux temps de résidence à Limoges, et donc lors des Zébrures de printemps, elles peuvent, si elles le souhaitent, bénéficient d’une lecture de leur texte. C’est le cas, cette année, pour Bois Diable dont j’ai parlé, mais aussi de Wilé de Nadale Fidine ou de Polyglotte d’Émilie Monnet.

Nadale Fidine © Christophe Péan

Que de partenariats !

Et il faudrait ajouter celui, précieux, que nous avons avec Etc. Caraïbe, structure associative qui soutient les écritures contemporaines de Caraïbe. Sans compter que les lectures seront parfois proposées dans des collèges.

D’autres lectures sont des mises en voix de textes auréolés de prix. Penda Diouf dont on pourra entendre Noire comme l’or lors de la soirée d’inauguration a déjà été nominée ou primée de nombreuses fois.

Outre À Cœur ouvert qui a reçu le Prix RFI théâtre 2023, je pourrais citer le Prix SACD de la dramaturgie francophone reçu par Pamela Ghislain pour Lune, un texte passionnant sur une jeune activiste pour le droit des femmes. Lune attaque l’État pour son inaction sur le sujet et en paiera le prix fort. La pièce aborde ainsi la difficulté à avoir un impact sur le monde. Je lui souhaite une reconnaissance par-delà les frontières belges. D’ores et déjà, il sera programmé à Avignon dans le cadre de l’opération Les Intrépides.

Et puis il y le texte étonnant de Mélissa Mambo Bangala, dystopie qui met aux prises des êtres non humains dans une ère post-apocalyptique. Ce Dictionnaire de la Rouille invente une nouvelle langue pour créer de nouveaux liens et il a obtenu le prix Etc_Caraïbe du texte francophone.

Et pour le spectateur pris par le temps qui ne pourrait tout voir ?

Les auteurs·ices ont accepté de participer à un abécédaire, orchestré par la compagnie des Indiscrets. Ils ont écrit sur une lettre et proposeront une lecture de leur texte : de quoi entrer en quelques minutes dans leur univers.

En définitive, comment pourrait-on qualifier cette édition ?

Elle présente des écritures du réel, engagées, situées et singulières : des francophonies plurielles qui nous invitent à chausser d’autres lunettes pour lire le monde. 🔴

Propos recueillis par
Laura Plas


Les Zébrures de printemps

Site du festival
Du 19 au 24 mars 2024

Accès libre sur réservation
Réservations : 05 55 10 90 10 ou en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les Zébrures de printemps, 3e édition, par Laura Plas
☛ Les Francophonies, des écritures à la scène », par Laura Plas

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