« Une nouvelle Nuit à vivre. Ensemble. »
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Pendant 72 heures, 150 structures culturelles s’associent pour réaliser cette 4e édition de La Nuit du Cirque. Au total, ce sont près de 250 rendez-vous en France et à l’étranger, du 11 au 13 novembre, dont 23 premières en salle ou sous chapiteau. Rencontre avec Philippe Le Gal, directeur du Carré Magique de Lannion, pôle national cirque en Bretagne, et président de l’association Territoires de Cirque, qui a initié et anime cet événement avec le soutien du Ministère de la Culture.
Que de chemin parcouru depuis 2004, année de naissance de Territoires de Cirque, instance organisatrice de cet événement !
Fondée en 2004, dans le prolongement de l’année des arts du cirque initiée par le ministère de la Culture, l’association Territoires de Cirque rassemble aujourd’hui près de 60 structures engagées dans le soutien à l’émergence, la création et la diffusion du cirque. Parmi elles, on trouve bien évidemment les 13 pôles nationaux cirque, mais aussi d’autres établissements ouverts à toutes les esthétiques du spectacle vivant : des laboratoires de recherche, comme des scènes nationales ou conventionnées, des théâtres de ville, des services culturels, des festivals, des lieux de patrimoine, des structures de production…
Entre militantisme et lobbying auprès des partenaires publics, Territoires de Cirque œuvre à la reconnaissance de cet art jeune et protéiforme qui ne cesse de se réinventer, d’explorer de nouvelles voies, de s’emparer de sujets sociétaux, de fusionner avec la danse, le théâtre. Bref, le cirque d’aujourd’hui qui s’est pensé et développé à la marge des institutions artistiques et culturelles dès le milieu des années 1970, a depuis rejoint les cadres des politiques publiques tout en conservant son originalité, et nous l’espérons, son impertinence.
C’est pourquoi il convenait d’imaginer un événement qui mette ce champ artistique dans la lumière, qui dépasse nos frontières, qui se partage avec les artistes de tous horizons et les publics. Ainsi est née l’idée d’une Nuit du Cirque, conçue comme un instantané, une photographie de la création circassienne à l’instant T. une manière sensible et poétique de mesurer la diversité de ses expressions, son foisonnement et par là même de rappeler combien cet art est joyeux, populaire et… exigeant.
Très vite, La Nuit du Cirque, est passée d’une journée à trois. Pourquoi ?
D’emblée, dès la première édition en 2019, se posait la question du nombre de spectacles présentés dans les lieux : une soirée serait-elle suffisante au regard du nombre de lieux partants pour cette aventure ? De surcroît, les écoles de cirque qui souhaitaient participer se voyaient limitées par un calendrier inadapté : le week-end leur étant plus favorable que la seule journée du vendredi. Trois jours, trois nuits, 72 heures, en fait, très vite, nous avons senti que c’était le bon format. Et bien sûr pour nos partenaires étrangers, c’était aussi une ouverture immédiatement plus forte, plus opérante.
Pas de chance, 2020 avec le confinement ne nous a pas permis de prendre l’exacte mesure de ce choix. La Nuit du Cirque de cette année si particulière a évolué vers une version numérique. Un beau challenge relevé avec force et originalité par les artistes et les lieux : facebook lives, captations, capsules vidéo conçues pour l’occasion, ont permis aux équipes artistiques de montrer l’évolution de leur travail, de garder le lien, d’alimenter des ressources en ligne. De la toile du chapiteau à la toile internet, il y a un pas que nous avons franchi mais un constat unanime s’est imposé après coup : le spectacle vivant est avant tout l’espace et le temps de la rencontre physique entre artistes et publics. Le numérique est un outil, efficace certes, mais il demeure un outil. Ce n’est pas une fin en soi.
L’an passé, le temps des retrouvailles nous a permis la réalisation d’une Nuit du Cirque fragile mais bien vivante. Et 2022 nous projette au-delà de cette crise sanitaire, quand bien même le risque perdure.
Quelles sont les nouveautés de cette 4e édition ?
Toujours plus d’ouverture : n’imposant aucune ligne artistique aux lieux participants, cette Nuit offre un très large éventail dans ses esthétiques, thématiques ou formats. D’ailleurs, en 2022, Territoires de Cirque a observé avec bonheur la multiplication de demandes de participation de la part de structures dont le cirque n’est pas le cœur de métier. Cela favorise l’engagement des lieux non spécialisés en faveur de la création circassienne.
Relevons aussi sa dynamique internationale !
Grâce à son partenariat avec Circostrada et l’Institut Français, La Nuit du Cirque rayonne en effet au-delà des frontières hexagonales, et particulièrement dans les Caraïbes, cette année. Présente dès la première édition, la Belgique est de nouveau au rendez-vous. La Pologne, l’Allemagne et la Suisse ont rejoint l’événement en 2021. Les relations qui se tissent avec cette dernière sont fortes : à travers ProCirque, une riche coopération s’est mise en place, notamment pour répondre à la nécessité de travailler dans les trois langues officielles de la Suisse. Depuis, de nouveaux pays entrent en jeu : la Croatie, la Lettonie, l’Irlande, le Portugal, le Maroc…
Enfin, l’ouverture passe par le partage des processus de création.
En plus d’être un large espace de diffusion, la Nuit du Cirque est aussi un temps inédit d’invention. Le programme montre de nombreuses étapes de travail, les coulisses des créations. Cet échange nourrit la création. Enfin, la pratique amateur représente une part très importante de la pratique circassienne. Or, nous comptons de nombreuses écoles de cirque parmi les partenaires de l’événement. D’autres belles occasions de partage.
Quels défis tentez-vous de relever avec cette nouvelle édition ?
Offrir une nouvelle visibilité aux spectacles pénalisés par la crise sanitaire, à savoir les créations 2020-2021 mises en concurrence avec celles de cette année et celles qui vont surgir d’ici l’été 2023. C’est aussi une manière de souligner que les questions de diffusion des spectacles sont au cœur de nos préoccupations.
Nous ne pouvons nous satisfaire des conclusions du récent rapport de la Cour des Comptes pointant la trop faible diffusion des spectacles en France, tous genres confondus. S’il est bien un champ artistique pourtant où la diffusion est l’obsession première, c’est le cirque dont les temps de création sont bien plus longs que pour le théâtre ou la danse, par exemple, où l’on parlera en semaines (puisque pour une création circassienne, il faut parfois compter jusqu’à deux années, entre le rêve de l’artiste et la première vision publique du spectacle). Ce qui signifie une diffusion à l’égale de l’investissement, qui s’inscrit nécessairement dans le temps long, entre deux et cinq ans. D’où la nécessité des chapiteaux.
Mais le temps d’exploitation des spectacles n’est plus le seul défi, la crise énergétique est un nouveau pavé dans la mare. Il nous faut impérativement nous adapter. Nous n’avons pas le choix et nous espérons que cette édition 2022 portera les premiers signes de cette évolution, tant sur le plan esthétique que technique. C’est un sacré défi et je ne doute pas que les artistes vont y apporter leurs solutions qui feront écho à l’évolution de nos propres pratiques professionnelles. Un vaste, très vaste chantier, à suivre au plus près.
« Esquive », de Gaëtan Levêque © Irvin Anneix et Hélène Combal-Weiss
Pourquoi ce titre « À corps et à cri » ?
Cette formule décrit l’état actuel du corps circassien. Après la crise sanitaire, qui a engendré solos et duos, on a perçu un désir très fort de faire à nouveau émerger de grands formats. L’appel du merveilleux en quelque sorte. Il nous faut rêver encore plus dans ce monde bousculé, malmené, et censément dépressif. Un rêve commun pour une autre réalité s’impose. Libérés des contraintes, les corps exultent à nouveau et c’est heureux.
En parallèle, le « cri » suggère une forme de résistance et souligne, s’il le fallait encore, combien le cirque quitte désormais son crédo de référence : le divertissement. Le cirque actuel est en effet un art total qui ne s’interdit aucun sujet qu’il traite de mille manières, sans tabou. Outre le « corps performance », le « corps accords » évoque le cirque qui raconte la relation à soi, à l’autre et au monde qui bouge. De nouvelles formes artistiques émergent, reflets de nouvelles manières de vivre ensemble et d’expressions sur notre actualité brûlante. « Corps écrits » fait référence aux artistes qui prennent la parole pour faire récit : enquêtes documentaires, témoignages, explorations ou conférences.
À sa mesure, La Nuit du Cirque 2022 retrace l’état de la pensée circassienne du moment. Les crises n’y sont pas absentes, les prises de conscience sont aiguës, il reste à en découvrir la transcription sur scène, sous chapiteau, dans l’espace public. Une nouvelle Nuit à vivre. Ensemble. 🔴
Propos recueillis par
Léna Martinelli
La Nuit du Cirque
4e édition, du 11 au 13 novembre 2022
Événement organisé par Territoires de Cirque avec le soutien du ministère de la Culture, en collaboration avec l’Institut Français, Circostrada, circusnext, Buzz (Allemagne) et ProCirque (Suisse)
Toute la programmation ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ La Nuit du Cirque 2022 de Cirque, par Léna Martinelli
☛ La Nuit du Cirque 2021, Territoires de Cirque, par Florence Douroux
☛ La Nuit du Cirque 2020, Territoires de Cirque, par Florence Douroux
☛ La Nuit du Cirque 2019, Territoires de Cirque, par Léna Martinelli