Théâtre pimenté
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
En faisant le choix d’interpréter un collage de textes de Rodrigo García dans une cuisine privée, à l’invitation des propriétaires qui ont rassemblé leurs amis, deux jeunes et talentueux comédiens poussent jusqu’aux limites de l’engagement physique la parole provocante d’un des dramaturges les plus passionnants de la scène contemporaine.
Pour décor, une vraie cuisine ouverte sur une pièce à vivre. Mêlés aux invités, une majorité de trentenaires de ces classes moyennes que Rodrigo García aime à vitrioler, les comédiens sont à peine repérables. Ils surveillent en alternance la cuisson d’un risotto qui sera servi à chacun à la fin de la représentation. Ils bavardent avec les uns et les autres, un verre à la main. Puis, soudain explosent les premiers éléments d’une suite de textes qui vont dynamiter les rapports d’un couple de petits-bourgeois. Leur fureur consumériste, leur frustration sexuelle, leur mépris de l’autre, leur désarroi vis-à-vis de leurs enfants, leur mal-être au travail s’entrechoquent dans une langue drue et crue. S’enchaînent des situations aux frontières de l’hystérie, régulièrement interrompues par des apostrophes aux spectateurs. Distance, distance, chaque fois que c’est nécessaire. Ne pas se laisser embarquer dans le confort d’une fiction théâtrale. Implacablement, se succèdent un « Nous jouons pour vous » et un « C’est quoi votre vie ? », densifiant l’écoute de l’auditoire jusqu’au malaise.
Entre fracassantes scènes de ménage et pitoyables aveux s’édifie un virulent réquisitoire contre une société hébétée par le désir compulsif de posséder plutôt que par celui légitime d’exister. À titre d’exemples, la description clinique d’un couple qui s’abrutit de musique tant le silence lui fait peur ou le naufrage d’un repas entre amis entraîné par un propos insipide sur la détestation de la salade. Ces séquences tendent aux spectateurs le miroir d’un monde qui est le leur où la vacuité fait rage. Achevé par deux monologues pathétiques dont les larmes et le sentiment de désespérance sont la couleur dominante, ce spectacle laisse le public au bord d’une envie de vomir, que seule la lucidité de l’autocritique peut empêcher.
Lise Chevalier émeut profondément
Avec une sélection sagace de quatorze textes qui portent, comme titre, par exemple, « J’ai acheté une pelle chez Ikéa pour creuser ma tombe » ou « L’avantage avec les animaux c’est qu’ils t’aiment sans poser de questions », Lise Chevalier et Steven Fafournoux, aidés par le regard extérieur de Loïc Rescanière, directeur d’acteurs, relèvent magnifiquement le défi d’une écriture insurgée contre une société hypocrite et moraliste. Lise Chevalier, sensible et fragile, émeut profondément dans sa tentative obstinée pour échapper à sa condition de femme aliénée. Ses moments de soumission comme de révolte sont poignants. Steven Fafournoux, en antihéros dérisoire, donne à voir avec intelligence et justesse l’impuissance d’un macho médiocre que les normes sociales ont asservi. Tous deux bouleversent lorsqu’en dansant ou en chantant, ils poussent au paroxysme les effets physiques de leur addiction aux supposés standards d’une vie réussie.
Intitulé ironiquement Et la vie n’était belle que si elle était réelle, ce spectacle qui peut se jouer dans un appartement, un bar ou un hall de théâtre mérite d’être largement programmé. Cinquante ans après les Choses, roman mélancolique et désabusé de Georges Perec, les textes de Rodrigo García lui font écho, mais sous une forme cynique et insolente. Mis en de bonnes mains, ils sont une belle occasion de découvrir une écriture théâtrale contemporaine saisissante et sans tabous. ¶
Michel Dieuaide
Et la vie n’était belle que si elle était réelle, d’après Rodrigo García
Textes édités aux Solitaires intempestifs
Avec : Lise Chevalier, Steven Fafournoux
Direction d’acteurs : Loïc Rescanière
Photo : © D.R.
Production : Cie Le Fil
Contact pour information et réservation : 06 65 35 29 57
Cie Le Fil : cielefil@gmail.com
Tarif : 15 € spectacle et risotto compris
Durée : 55 minutes
2 réponses
Bonjour,
je ne comprends pas pourquoi je reçois depuis quelque temps des articles datant parfois de plusieurs années. Ce qui m’intéresse, ce sont les articles sur l’actualité théâtrale récente.
Merci de bien vouloir rectifier.
F.Boutet
Bonjour Françoise,
Effectivement, nous publions des anciens articles qui figuraient sur notre ancien site « lestroiscoups.com ».
Le but, c’est qu’à la fin, tous les articles soient regroupés sur « lestroiscoups.fr ».
Le problème, c’est que, informatiquement, nous n’avons pas la possibilité, pour ces anciens articles, d’empêcher le fait de prévenir les abonnés, qui se fait automatiquement.
Nous espérons trouver une solution.
Bien à vous,
La rédaction.