Singulières plurielles
Par Laura Plas
Les Trois Coups
En ouverture des Zébrures d’automne, honneur était fait aux femmes : objets et sujets de création. Si « Et que mon règne arrive », oscillant entre bluette et pamphlet, séduit sans convaincre tout à fait, la mise en scène polyphonique de « Ce Silence entre nous » s’impose par la finesse de sa partition.
Le festival des Zébrure d’automne offre cette année encore pléthore de créations. On attendait justement avec impatience de découvrir Et que mon règne arrive, fruit de la collaboration de deux grandes créatrices africaines. Odile Sankara, actrice chevronnée, militante, pédagogue met en effet ici en scène les écrits de Léonora Miano, exceptionnelle romancière et essayiste.
Qui a entendu parler cette auteure n’a pu qu’être saisi par le velouté de sa voix et par sa parole peu disposée à la concession. Qui l’a lue n’a pu qu’être frappé par la musicalité d’une langue nourrie de « spoken word », de poésie et de radicalité. Or, de cette puissance que subsiste-t-il dans le passage au plateau ? Plus le spectacle avance, plus le monologue se mâtine de dialogues conventionnels, plus la langue perd de sa force poétique. Et le pamphlet se métamorphose en bluette.
La pièce commence pourtant bien. Une universitaire – sorte d’alter ego de l’auteure ? – chamboule les certitudes d’un féminisme prétendument universel mais réellement « européocentré ». Or, ce propos complexe laisse bientôt place à une intrigue dont le caractère fragmentaire ne saurait dissimuler la convention. Une jeune féministe découvre que son aspiration véritable est de trouver un amour aussi pur que celui de papa-maman et finit dans les bras d’un bellâtre dont le discours est bien réactionnaire. On sait que Léonora Miano joue habilement et en toute conscience des codes de la romance, elle l’a montré avec son roman à succès Rouge Impératrice, mais au plateau, cela ne passe pas vraiment.
Certes, on passe un moment sympathique. Les acteurs semblent s’amuser, le plateau regorge d’éléments de décors, costumes, accessoires colorés. Il se passe tout le temps quelque chose, le décor est modifié à vue comme dans une bonne telenovela, tout cela avec des intermèdes musicaux enjoués. Difficile de s’ennuyer… Mais où est l’émotion ? Où est la réflexion ? On flirte parfois avec la caricature et la pléthore de signes donne un peu l’impression d’être dans un esthétique et jovial bric-à-brac théâtral. Bref, on passe simplement un moment agréable avec cette « feel good play ».
Ce beau silence entre nous
La collaboration entre Mihaela Michailov et Matthieu Roy s’impose, elle, par sa finesse et sa force. Après s’être intéressé notamment aux enfants autistes, l’auteure roumaine poursuit sa réflexion sur la famille dans Ce silence entre nous. Elle y explore les relations mères filles et notamment l’injonction faite aux filles de devenir mères dans neuf monologues qui apparaissent comme les facettes d’un même kaléidoscope. En portant à la scène sept d’entre eux, Matthieu Roy parvient à faire percevoir ces subtiles nuances.
On ne s’en s’étonnera peut-être pas si on songe que, depuis des années, la compagnie du Veilleur multiplie les collaborations, y compris avec des musiciens. Or, justement, la mise en scène est, à bien des égards, musicale. S’emparant d’un texte polyphonique, Matthieu Roy crée à son tour des échos entre langue française et roumaine, entre texte et contrepoints musicaux, entre matière sonore et visuelle. Fidèle interprète d’une belle partition textuelle, il assume le monologue sans jamais céder à la facilité.
Le résultat est puissant. L’auteure a nourri son écriture de recherches documentaires et de souvenirs personnels : le monologue nous présente cette matière dans l’écrin pudique d’une scénographie stylisée et dépouillée. Mais, paradoxalement, l’intime rejoint l’universel. C’est la force d’un texte qui se nourrit de mythes, autant que de réalité, et qui transfigure la matière documentaire par le travail littéraire. C’est la qualité d’une mise en scène qui refuse l’illustration et nous renvoie à nos propres rêves et souvenirs.
Par ailleurs, l’ombre dans laquelle baigne la scène, nous conduit à nous concentrer sur les interprètes et sur la partition qu’elles jouent pour nous. Le travail sur la lumière est globalement ciselé. Quant aux toiles de de Bruce Clarke, elles accentuent heureusement l’effet de stylisation de la mise en scène. Dans la salle, ce silence entre nous, dense est bien la preuve que quelque chose de précieux se passe.
Ajoutons que la qualité de l’interprétation, celle en particulier d’Ysanis Padonou, exceptionnelle, porte le spectacle. La direction est précise, audacieuse parfois. L’humour enfin, comme contrepoint à la gravité des propos fait comme des étincelles dans l’obscurité. On sourit, on rit autant qu’on a parfois envie de pleurer. Un beau moment de théâtre : exigeant et subtil. ¶
Laura Plas
Et que mon règne arrive, de Léonora Miano
Mise en scène : Odile Sankara
Assistant à la mise en scène : Ali Kiswendsida Ouédraogo
Avec : Florisse Adjanohoun, Safourata Kaboré, Emmanuel Rotoubam
Durée : 1 h 30
À partir de 14 ans
Centre Culturel Jean Gagnant • 7, avenue Jean Gagnant • 87000 Limoges
Le 23 et 25 septembre 2021, à 18 heures
Infos ici
Ce silence entre nous, de Mihaela Michailov
Traduction : Alexandra Lazarescou
Mise en scène : Matthieu Roy
Plasticien : Bruce Clarke
Avec : Ysanis Padonou, Iris Parizot et Katia Pascariu
Durée : 1 h 50
À partir de 14 ans
Théâtre de l’Union • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Le 23 septembre, à 20 heures, et le vendredi 24 septembre, à 18 h 30
Infos ici
Dans le cadre des Francophonies, des écritures à la scène : festival des Zébrures d’automne, du 22 septembre au 2 octobre 2021
De 8 € à 19 €
Réservations par tel au 05 55 33 33 67 ou en ligne