« Even Elephants do it », cie Horizon Vertical, Festival Off Avignon 2023

Even-Elephants-do-it-cie-Horizon-Vertical © Blandine-Armand

Bombe à retardement d’humanité

Par Laura Plas
Les Trois Coups

« Even Elephants do it » prend son temps pour nous saisir, puis s’impose dans son impérieuse nécessité. Distribution convaincante, partis pris complexes mais pertinents : cet hommage bouleversant à une médecin extraordinaire dessine un nouveau serment d’Hippocrate. À voir de toute urgence !

Allez voir Even Elephants do it ! Toi que l’on destine à être médecin parce que c’est une place de notable ; toi qui bûches d’arrache-pied pour le devenir un jour faisant des QCM jusqu’à en perdre le sens de ton travail ; toi le médecin qui sillonnes les petites routes de campagne, même si ce n’est pas rentable parce qu’on y a besoin de toi ; toi qui t’es heurté à la violence d’un hôpital et ne veux plus jamais y être confrontés – quoi qu’il t’en coûte – ; tu y retrouveras peut-être un spectateur qui a perdu jadis un proche du sida, un autre qui a mal à l’Afrique et que débecte la gloutonnerie indécente des laboratoires pharmaceutiques. Tu y rencontreras encore des lecteurs de Boulgakov et tout simplement des amateurs de théâtre.

C’est que la pièce ne parle pas vraiment d’éléphants, ni seulement de l’épidémie du sida. Que les spectateurs effrayés se rassurent sur ce point. Elle suit avant tout une femme extraordinaire, un de ces humains vraiment humains qui nous réchauffent au feu de leurs actions. Et dans son sillage, apparaissent des patients et des soignants : peuple divers. Il y a des hommes et femmes de bonne volonté, mais aussi des petits chefs bornés, des collègues trouillards ou simplement épuisés. Il y a des malades, des mourants et des gens qui vont mieux.

Comme une BD et une ardoise magique

Le spectacle parvient à nous les faire tous voir grâce à un travail malin de bruitage et à une direction d’acteurs assez particulière. Pas le temps d’identifier un comédien à un personnage, qu’il nous croque déjà le suivant. Un travail chorégraphique assez stylisé nous permet de passer d’une vignette à l’autre, comme si le mouvement abstrait reproduisait le principe d’une ardoise magique.

Ils sont cinq acteurs seulement à donner ainsi vie à une galerie impressionnante de personnes. La valeur n’attend pas chez ces interprètes le nombre des années : chapeau, vraiment ! Ainsi, deux comédiennes incarnent la médecin Cécile Winter, ce qui peut déconcerter, mais permet de respecter la vraie Cécile. On ne cesse d’entendre sa voix enregistrée, par-delà sa mort.

© Blandine Armand

Le respect, l’amour pour Cécile Winter s’expriment en effet bien avant la dédicace finale. La médecin s’était battue pour un nouveau serment médical, celui qui fait qu’on ne se débarrasse pas d’un mourant aux mains d’un généraliste totalement dépourvu, qu’on prend du temps pour parler du sida à un malade, sans se mêler de la façon dont il l’a attrapé, sans le stigmatiser, en ôtant sa blouse le cas échéant pour tenter de soigner aussi les âmes.

Sur scène, on sent des choix humains : l’éthique y induit l’esthétique. L’abstraction de la vidéo est pudeur, elle impose avec délicatesse une analogie qui deviendra explicite avec le temps et dont la pertinence s’imposera à la fin de la pièce, quand le propos deviendra plus global, plus politique. Avec un peu de patience, tout fait sens.

Les couleurs des sentiments

Entre temps, on est confronté à la mort et à la vie, à la rage de guérir et de lutter pour chaque patient, au dévouement comme à la mesquinerie. On suit des années de lutte contre le sida : depuis les hécatombes désespérantes du début, jusqu’à la trithérapie, en passant par les essais sur l’AZT et la détestable politique portée par les grands laboratoires autour des placebos.

© Blandine Armand

On passe par tout le spectre de ces émotions qui font la beauté du spectacle vivant et qui font de nous des humains : l’empathie, l’indignation, la tristesse et le rire. Car la pièce est pleine d’éclats d’humour, de couleurs, d’accents du monde. L’Afrique s’invite aussi sur le plateau car, sur ce continent, faute de solidarité internationale, des millions d’enfants, de femmes, d’hommes sont morts et meurent toujours du Sida.

Cécile Winter nous narre la magnifique histoire que se racontait son grand-père, Juif d’Ukraine, pour vivre en paix la mort de ses parents pendant la seconde guerre mondiale. Et nous avons tous besoin que les morts soient traités dignement comme les vivants, les malades, les mourants. Une autre épidémie, celle du covid, nous l’a récemment rappelé. Ce besoin d’humanité, ce besoin de consolation trouvent un baume dans le travail de la Compagnie Horizon Vertical. Un spectacle à l’actualité brûlante qui ne peut laisser indifférent. 🔴

Laura Plas


Even Elephants do it, de la cie Horizon Vertical

Site de la compagnie
Écriture : Mónica Mojica, Antoine Voituriez, avec la complicité des comédien.nes
Mise en scène, concept dramaturgique et scénographie : Mónica Mojica
Avec : Cyprien Fiassé, Eléonore Lamothe, Adam Migevant, Remi Oriogun-Williams, Clara Rousselin
Musique originale et son : Alejandro Gómez Upegui
Vidéo : Jean-Baptiste Droulers
Lumières : Samuel Halfon
Voix Off : Cécile Winter
Durée : 1 h 35
Dès 13 ans
Teaser

Artéphile • 7, rue Bourgneuf • 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2023 (sauf le 13 et le 20) à 11 h 30
De 11 € à 18 €
Réservations : 04 32 75 15 95 ou en ligne

Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici

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