« Exposition universelle », de Rachid Ouramdane, Maison folie Wazemmes à Lille

« Exposition universelle » © Jacques Hoepffner

Corps, champ de bataille

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

Après « Loin » et « Des témoins ordinaires », « Exposition universelle » prolonge la recherche identitaire et formelle de Rachid Ouramdane, à travers une réflexion sur les esthétiques officielles. Corps-nation, corps-individu, statue ou fétu de paille, l’être humain face à la norme revendique des identités plurielles et polyphoniques. Une belle façon d’ouvrir la 9e édition des Latitudes contemporaines, festival plus que jamais en phase avec le monde.

Le point de départ de cette création, selon Rachid Ouramdane, était d’imaginer un « voyage libre dans l’histoire des rapports entre corps et pouvoir », de questionner la manière dont les idéologies politiques et sociales modèlent, voire formatent les esthétiques, les silhouettes et les attitudes. Quoi de mieux, effectivement, que reprendre et détourner les expositions universelles, face-à-face de nations, vitrines de cultures officielles, et donc figées ? Ce que tente de saisir Rachid Ouramdane, c’est le moment de tension identitaire que crée la mise en avant de ce qu’est, du point de vue de la force de l’État, sa civilisation.

Ici, la musique, composée par Jean-Baptiste Julien qui intervient directement sur scène, a donc fonction de règle, mais aussi de condition à la libération du mouvement. L’ouverture est ainsi rythmée par le tic-tac implacable d’un métronome, dont le son semble rebondir jusqu’à envahir l’espace sonore. Dans un espace noir et blanc, technique et froid, le danseur est d’abord immobile sur un disque tournant, statue sous cloche qui commence à enchaîner avec lenteur gestes et postures martiales. Un état de corps succédant à son exact opposé, la statue se fragilise et le modèle se fendille. Pied à terre, le corps, revenu à la réalité, est pris de vertige.

Comment questionner, critiquer physiquement et poétiquement le concept d’identité nationale ? En multipliant les points de vue sur une chose, en acceptant de montrer la réalité puis son exact envers, en choisissant, selon les mots de Rachid Ouramdane, « de créer du trouble » plutôt que d’affirmer une position univoque.

Devant, et presque contre son portrait démultiplié, le surhomme devient homme invisible, et puis, très vite, homme révolté. Après avoir atteint l’apogée du simulacre de parade militaire, les saluts et gestes martiaux se dérèglent, deviennent de plus en plus saccadés, au rythme d’une bataille intérieure, et au son d’un collage hétéroclite d’hymnes nationaux. Et parfois, les gestes raides s’assouplissent, se métissent, la danse et le corps se libèrent vraiment.

Avec en miroir la vidéo de l’artiste en Arlequin perdu, grimé de bleu, blanc, rouge en aplats de couleurs agressives, interviennent alors des actions-allusions très fortes : crachat rouge dans le blanc du sol, lentille bleue posée sur un œil noir, traduisant un rapport volontairement violent à la couleur nationale, elle-même violente intrinsèquement. Des images à la fois brutales et subtiles, à l’image de ce spectacle qui n’impose rien, mais suscite et prolonge une émotion formelle et une réflexion théorique essentielles. 

Sarah Elghazi


Exposition universelle, de Rachid Ouramdane

Conception et chorégraphie : Rachid Ouramdane

Musique : Jean-Baptiste Julien

Avec : Rachid Ouramdane et Jean-Baptiste Julien

Lumières : Yves Godin, assisté de Stéphane Graillot

Vidéo : Jacques Hoepffner

Costumes, maquillage : La Bourette

Regard extérieur : Gilbert Gatoré

Régie générale et réalisation du décor : Sylvain Giraudeau

Photo : © Jacques Hoepffner

Production déléguée : Cie L’A

L’A est subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication / D.R.A.C. Île-de-France, par la région Île-de-France et par l’Institut français

Rachid Ouramdane est artiste associé au Théâtre de la Ville de Paris et à Bonlieu, scène nationale d’Annecy

Coproduction : Bonlieu, scène nationale d’Annecy, Théâtre de la Ville, musée de la Danse-Centre chorégraphique national de Rennes

Avec le soutien du Centre national de danse contemporaine-Angers et du Théâtre universitaire de Nantes

Spectacle présenté dans le cadre du 9e festival Latitudes contemporaines, du 7 au 17 juin 2011 à Lille, Roubaix, Valenciennes et Armentières

Maison folie Wazemmes • 70, rue des Sarrazins • 59000 Lille

Réservations : 03 20 55 18 62 ou billetterie@latitudescontemporaines.com

Création le 7 juin 2011 à 20 h 30

Durée : 55 minutes

13 € | 7 € | 5 €

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