« Fauves », de Wajdi Mouawad, Théâtre de la Colline, à Paris

« Fauves » de Wajdi Mouawad © Alain Willaume

Qui veut faire la bête, fait parfois l’ange

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Si ces fauves semblent tourner parfois dans la cage des obsessions thématiques et formelles de Wajdi Mouawad, leurs rugissements défient les diktats de notre temps en pariant sur une narration feuilletonesque ambitieuse et en osant rage et ferveur. Inégal.

Le directeur du Théâtre de la Colline présente Fauves comme une bifurcation de son travail, opérant un rapprochement entre histoire et déconstruction postmoderne du récit. Qu’en est-il en réalité ? Que la fable proposée ici soit fragmentée, c’est une évidence, pas une nouveauté. Depuis au moins la trilogie du Sang des promesses, le spectateur s’est accoutumé à suivre le cheminement de protagonistes, confrontés, comme Hippolyte dans Fauves, à des révélations successives. Depuis longtemps aussi, le modèle du montage cinématographique a donné aux pièces de Wajdi Mouawad des allures d’enquêtes. L’emploi du flash-back, le montage cut des scènes n’étonneront donc pas.

Et c’est encore du cinéma que vient le rembobinage ! Fauves exploite ce procédé pour proposer, avec plus ou moins de bonheur, une version de récit inédite. Cette prétendue innovation, qui passe justement par une technique de répétition, permet encore une fois au dramaturge d’évoquer le ressassement de personnages choqués et les bégaiements tragiques de l’histoire. En définitive, on a l’impression qu’en usant et abusant du rembobinage, Wajdi Mouawad revendique la répétition qu’on a pu lui reprocher. Non seulement, l’intrigue de Fauves reprend une nouvelle fois les deux scènes matricielles de la plupart des pièces (scène d’impuissance face à l’horreur et scène d’éblouissement face à la beauté), mais la pièce pose la répétition comme principe esthétique.

Après la répétition (la réinterprétation)

On éprouve donc le sentiment que le dramaturge approfondit ses partis-pris jusqu’à pouvoir les parodier, voire jouer avec les attentes de son public. Un spectateur croit ainsi comprendre une scène, se gausse peut-être de maladresses ou d’excès… et se trouve décontenancé par le dispositif.

Wajdi Mouwad occupe depuis plusieurs années la difficile position de l’idole. Il a marqué une génération, fait lever des foules qui, peinant à retrouver leurs premiers émois. Il est, de plus, à la tête de La Colline, théâtre d’expérimentations postmodernes, alors qu’il incarne un théâtre qui croit au lyrisme et aux histoires… Fauves se joue de cette situation et forme comme un manifeste esthétique. On y entend d’ailleurs des personnages s’insurger contre l’étranglement que provoque la corde passée « au cou du naïf qui ose encore offrir forêts, clairières, mers et savanes à ceux pour qui le désert est devenu la norme ». On y percevra « le langage des assoiffés » et le deuil insupportable des mots.

Signant et persistant, en dépit des notes d’intention, Wajdi Mouawad agacera donc souvent, assourdira ou décevra peut-être. Mais on envie l’adolescent qui poussera pour la première fois la porte de La Colline et sera aussitôt saisi par l’hybris et la foi dans le verbe. On reconnaît par ailleurs à l’artiste l’audace de détonner par ses rugissements. Car si Fauves ne nous fait pas quitter la planète Mouawad pour nous embarquer vers des espaces inconnus, nous vivons en lévitation certains instants de grâces, comme Lazare, le fils spationaute d’Hippolyte.

Ces moments-là tiennent essentiellement à la performance des acteurs : Lubna Azabal et Norah Krief composent, par exemple, des personnages hauts en couleurs, tandis que Jérôme Kircher et Hugues Frenette, grâce à des dialogues pleins d’humour et de tendresse offrent de fins contrepoints. C’est dans ces instants ténus, de l’ordre du plus ronronnement plus que du rugissement, que l’on apprécie davantage la pièce. Ainsi, qui veut faire la bête, fait parfois l’ange. 

Laura Plas


Fauves, de Wajdi Mouawad

Le texte paraitra chez Actes-Sud Papiers

Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad

Avec : Ralph Amoussou, Lubna Azabal, Jade Fortineau, Hugues Frenette, Julie Julien, Reina Kakudate, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac‑Olanié, Gilles Renaud, Yuriy Zavalnyouk

Durée : 4 heures (entracte inclus)

À partir de 15 ans

Teaser vidéo

Théâtre de la Colline • 15, rue Malte-Brun • 75020 Paris

Du 9 mai au 21 juin 2019, du mardi au samedi à 19 h 30, le dimanche à 16 heures

De 8 € à 30 €

Réservations : 01 44 62 52 52


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Tous des oiseaux, de Wajdi Mouawad, par Trina Mounier

☛ Sœurs, de Wajdi Mouawad, par Trina Mounier 

À propos de l'auteur

Une réponse

  1. On aime beaucoup Wajdi Mouawad, on l’admire pour sa capacité de travail, pour son engagement, mais, n’en fait il pas trop? Est ce que ‘Fauves  » est abouti? J’ai beaucoup aimé le parallèle entre sa vie rembobinée et le cinéma, la recherche de la bonne prise qui est aussi la recherche (peut-être ) du bon souvenir. Tout cela n’est pas si clair et, d’ailleurs dans la deuxième partie, il ne sait plus quoi faire des deux scènes de cinéma. Le rem bobinage n’est pas clair. L’histoire est alambiquée et peu crédible mais soit. Les choses qui m’ont le plus gênées sont : la diction des deux demi frères, au rang O, nous n’avons pas compris un traître mot du dialogue des deux frères. Les monologues de presque tous les acteurs , des digressions philosophiques pendant les monologues auxquelles on ne comprend pas grand chose (par exemple celui de la fille dans la deuxième partie). Après l’entracte nous nous sommes rapprochés (une partie du public ayant déserté) et nous avons mieux entendu. Mais pourquoi cette violence ces portes qui claquent (très fort). Avons nous besoin que l’on nous mettent les points sur le i à ce point pour comprendre. Il y a un manque de poésie dans le texte et le propos n’est pas clair sur la redite des scènes et le rembobinage. C’est le problème quand on veut être seul pour écrire, diriger, mettre en scène etc… Un regard extérieur que Mr Mouawad écouterait serait bénéfique. J’aurais adoré faire un test à la sortie et demander au public ce qu’il avait retenu à part la saga familiale façon série. Dommage!!!

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