Une édition forte et optimiste, contre la crise
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Pour sa quinzième édition, le festival Mettre en scène agrandit encore son territoire et sera présent à Quimper, Lannion, Vannes, Brest et, bien sûr, Rennes-Métropole. Son directeur, François Le Pillouër, et ses complices, Matthieu Banvillet (Brest), Gildas Le Boterf (Vannes), Philippe Le Gal (Lannion) et Franck Becker (Quimper) ainsi que les directeurs des scènes métropolitaines ont voulu que ces nouvelles rencontres internationales de metteurs en scène et de chorégraphes soient comme un pied de nez à la crise. Nous allons les suivre pendant quinze jours.
Comme en témoigne la présence, l’an passé, de cent cinquante directeurs de structures ou programmateurs venus de vingt pays, l’audience internationale de Mettre en scène s’accroît chaque année. L’implication forte de Prospero, le programme culture de l’Union européenne, n’y est évidemment pas étrangère. Ce sera d’autant plus visible cette année que, pour son acte II, Prospero s’agrandit en intégrant Amsterdam, Londres, Épidaure-Athènes et les théâtres de la ville de Luxembourg.
À travers ses créations, impromptus, accueils et coproductions, Mettre en scène continue de creuser son sillon au service de l’invention et de l’exploration de formes nouvelles. Plus que jamais, il promeut des formes d’art dans lesquelles le théâtre, la danse, les arts de la piste s’interpénètrent et s’épaulent mutuellement. Porosité et décloisonnement des formes et des esthétiques sont les maîtres mots du festival.
Othello de Shakespeare : bouleversant d’humanité perdue
Pour son sixième passage au Théâtre national de Bretagne, Thomas Ostermeier présente avec la Schaubühne une des pièces les plus connues de Shakespeare et l’une de ses dernières grandes tragédies, Othello (1604). Comme à son habitude (Hamlet, le Songe d’une nuit d’été), Ostermeier nous présente un texte modernisé par Marius von Mayenburg dans une mise en scène très contemporaine.
Hamlet était associé à la terre, Othello baigne dans l’eau, un carré d’eau noire et moirée qui, paradoxalement, ne souille nullement les tenues immaculées des acteurs qui s’y vautrent. La première scène, un prélude muet, est esthétiquement superbe : tous les comédiens et les musiciens (sauf le batteur et l’organiste) sont assis les pieds dans l’eau. Un homme se lève et se dénude complètement. Une femme se lève et le barbouille d’une substance noirâtre, puis elle se dénude elle-même, ne gardant qu’une culotte noire. Tandis qu’éclate une musique tribale, tous deux rejoignent un lit flottant, immaculé, et font l’amour sous les draps qui forment comme une tente. Nous venons de faire la connaissance d’Othello, le More, et de son épouse, Desdémone.
La pièce elle-même semble partagée en deux mouvements : une tragi-comédie et la tragédie proprement dite. Dans la première partie, on retrouve nombre de procédés utilisés dans Hamlet : l’usage de la vidéo, dont on ne comprend pas toujours l’intérêt, une musique tonitruante et l’usage de micros. Iago s’y comporte en bouffon lubrique, excessif et inquiétant.
La tragédie proprement dite commence quand Iago, furieux de se voir privé de la promotion qu’il espérait, commence à ourdir sa machination. On a alors l’impression d’un dépouillement progressif jusqu’à la fin tragique. Stefan Stern campe ici un Iago remarquable dans la fourberie et le cynisme. Mais le plus impressionnant est Sebastian Nakajew. Au fur et à mesure que la jalousie le domine et que le doute le mine, on le voit perdre sa superbe : son physique même semble changer. Sa voix se transforme et devient l’incarnation même de la douleur et du déchirement. C’est vraiment du très grand art. Par comparaison, la composition d’Eva Meckbach en Desdémone, pourtant impeccable, semble en retrait.
On l’a dit, la traduction de Marius von Mayenburg n’hésite pas à moderniser le texte shakespearien, sans même craindre l’anachronisme : les mérites guerriers d’Othello sont comparés à ceux de Rommel ! Pourquoi pas ? En revanche, les surtitres français, souvent fautifs (ils confondent notamment le futur et le conditionnel) vont plus loin. Ils n’hésitent pas, par exemple, à rendre « le Noir » de Mayenburg (pour le More) par « le Black » et à dire d’Othello qu’il a été « couillonné ». C’est à nos yeux un abus.
Ces réserves formulées, il reste que l’Othello d’Ostermeier est une œuvre puissante qui ne démérite pas de Shakespeare. La deuxième partie, surtout, vous saisit véritablement et, dans un paroxysme croissant, conduit la tragédie jusqu’à son terme fatal. Voilà qui augure bien de la suite pour cette quinzième édition de Mettre en scène. ¶
Jean-François Picaut
Festival Mettre en scène, 15e édition, du 3 au 19 novembre 2011 à Quimper, Lannion, Vannes, Brest et Rennes-Métropole
Othello, de William Shakespeare
Traduction de Marius von Mayenburg
Mise en scène de Thomas Ostermeier
Avec : Sebastian Nakajew, Thomas Bading, Tilman Strauss, Stefan Stern, Niels Bormann, Erhard Marggraf, Ulrich Hoppe, Eva Meckbach, Luise Wolfram
Musiciens : Ben Abarbanel-Wolff (saxophone), Thomas Myland (orgue, claviers), Nils Ostendorf (trompette), Max Weissenfeldt (batterie) Scénographie : Jan Pappelbaum
Costumes : Nina Wetzel
Musique : Polydelic Souls
Direction musicale : Nils Ostendorf
Vidéo : Sébastien Dupouey
Lumières : Erich Schneider
Combats : René Lay (chorégraphie)
Photo : © Tania Kelley
Production : Schaubühne am Lehniner Platz, Hellenic Festival 2010-Athènes-Épidaure
Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31
Du 3 au 5 novembre 2011 à 21 heures
Durée : 2 h 40
19 € | 10 € | 9 €