Clap de fin
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Sens interdits renaîtra dans deux ans, et même l’année prochaine, avec son édition intermédiaire, Contresens. D’abord, en raison de son succès auprès du public et, ensuite, grâce à la Région qui a changé d’avis pour verser des subventions qu’elle avait supprimées l’an dernier. Une reconnaissance (ou une volte-face) qu’on ne boudera pas.
Et puisque nous en sommes à parler d’avenir pour ces compagnies en danger, signalons le rôle crucial que joue ce festival. Sans parler de Milo Rau dont l’aura personnelle de metteur en scène est en soi une garantie contre l’invisibilité, ni de Tatiana Frolova qui, au cours des années, a conquis un public impatient de la retrouver.
Il faut donner un coup de chapeau à Patrick Penot qui veille sur ces artistes auprès desquels il continue à se sentir engagé, même après Sens interdits. C’est ainsi que deux spectacles palestiniens, Here I am et Losing it, ont d’ores et déjà une amorce de tournée.
Revenons donc sur quelques spectacles de la deuxième semaine qui nous ont marqués. À commencer par Nous ne sommes plus, de la compagnie Théâtre KnAM, déjà bien connue du public lyonnais, la fois parce qu’elle est de toutes les éditions de Sens interdits, depuis près de dix ans, et parce que, depuis son départ forcé de son théâtre en Sibérie orientale, elle est implantée à Lyon.
C’est de cela que parle avec beaucoup d’émotion le spectacle, de ses souvenirs, de ses combats, de ce départ avec une valise de 23 kilos, de ce que ses membres y ont mis pour résumer toute une vie, de la douleur de l’exil, même s’il est porteur d’espoir. Une pièce comme d’habitude assez virtuose sur le plan technique pour capter chaque regard, en rendre la détresse, la colère, la dignité, la force.
Lanceurs d’alerte
Pour rester du côté de la Russie, nous avons aussi été très admiratifs du spectacle 1,8 M, d’Ivan Viripaev, lui aussi en exil, mais en Pologne. 1,80 m2, c’est la dimension d’une cellule biélorusse où Loukachenko enferme ses opposants. C’est à eux que l’auteur metteur en scène donne la parole pour témoigner de leurs conditions de vie, d’enfermement, du lent étouffement de la démocratie, à commencer par l’interdiction de manifester, de la peur qui s’installe et du courage qu’il faut pour refuser l’indignité, survivre à la terreur, tenir debout, quoi qu’il arrive.
On trouve dans ce spectacle une distribution de haute volée, une mise en scène efficace et implacable, une analyse politique fine et, surtout, une incroyable foi en ces hommes et ces femmes, prisonniers, épouses, parents, fils, frère qui gardent la tête haute et donnent une grande leçon d’humanité.
Faisons le tour de la terre pour arriver avec Milo Rau et son Antigone in the Amazon. Présenté et ovationné cet été au Festival d’Avignon (lire la critique de Lorène de Bonnay), le metteur en scène a su prouver, et avec quel éclat, l’universalité et la modernité de cette pièce vieille de vingt siècles, en faire entendre la parole neuve. Non, Antigone n’est pas seulement une figure mythologique hantée par une problématique philosophique loi du ciel versus loi des hommes, mais une jeune fille terrassée par le chagrin, incapable de résister à la tendresse qui la pousse à prendre son frère dans ses bras pour le recouvrir de terre. Ces scènes sont bouleversantes…
Focus Palestine
Préparé de longue date, le focus Palestine a été brutalement mis en lumière par l’actualité. Pouvoir entendre les paroles, les alertes, les témoignages, les cris de colère contre l’enfermement, la révolte mis en scène par de grands artistes connut évidemment un retentissement particulier. Deux spectacles jouèrent à guichets fermés : And here I am, d’Hassan Abdulrazzak et Losing it, de Samaa Wakim et Samar Haddad King.
De plus en plus clairement tourné vers l’urgence, le festival Sens interdits est désormais indispensable. Il nous présente des créations, des esthétiques, qui demeureraient sans lui ignorées. Il nous apprend surtout à penser le monde, à voir avec plus d’acuité les dangers qui guettent nos démocraties. Il fait de nous des hommes et des femmes meilleur.e.s. 🔴
Trina Mounier
Sens interdits, festival international, théâtre de l’urgence
8e édition, du 14 au 28 octobre 2023, dans 25 lieux de Lyon et de la Métropole
Site
De 8 € à 25 €
Nous ne sommes plus, cie Théâtre KnAM
• Les 8 et 9 novembre, CDN de Besançon Franche-Comté
• Les 16 et 17 novembre, La Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
• Les 27 et 28 novembre, dans le cadre du Next Festival, Maison de la culture de Tournai, Centre neuchâtelois des arts vivants, La Chaux-de-Fonds (Belgique)
• Du 30 novembre au 2 décembre, Théâtre Populaire Romand (Suisse)
• Du 7 au 16 décembre, Comédie de Genève (Suisse)
• Du 20 au 24 février 2024, Théâtre national Wallonie-Bruxelles (Belgique)
• Du 28 février au 12 mars, Les Plateaux Sauvages, à Paris
• Les 9 et 10 avril, MC2 Grenoble, scène nationale
• Le 12 avril, Maison des arts du Léman, à Thonon-Les-Bains
• En avril, dans le cadre du festival Mythos, à Rennes
• En mai, dans le cadre du festival Théâtre en mai, Théâtre Dijon Bourgogne, CDN
Antigone in the Amazon, de Milo Rau
• Le 28 novembre, Équinoxe, scène nationale de Châteauroux
• Du 6 au 9 décembre, La Villette, à Paris
• Le 30 janvier 2024, Stadsschouwburg Brugge (Belgique)
• Le 7 février, dans le cadre du Stilte Festival, à De Warand (Belgique)
• Les 22 et 25 février, Schauspielhaus Zürich (Suisse)
• Les 1er et 2 mars, De Singel-Rode Zaal (Belgique)
• Du 19 au 22 juin, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse)
And here I am, d’Hassan Abdulrazzak
• Les 21 et 22 novembre, Théâtre de La Joliette, à Marseille
• Le 24 novembre, Théâtre Alibi, à Bastia
• Le 28 novembre, Le Safran, scène conventionnée d’Amiens
Losing it, de Samaa Wakim et Samar Haddad King
• Le 23 novembre, Théâtre de La Joliette, à Marseille
• Le 26 novembre, Théâtre Alibi, à Bastia
• Le 30 novembre au Le Safran, scène conventionnée d’Amiens