« Figaro divorce », d’Ödön von Horváth, Théâtre du Nord à Lille

« Figaro divorce » © Simon Gosselin

Éloge de la fuite ?

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

Après une mise en scène du « Mariage de Figaro », version opéra, Christophe Rauck choisit de s’attaquer une nouvelle fois au personnage mythique par un versant moins glorieux : dans « Figaro divorce », le célèbre valet perd de sa superbe dans un monde où le cynisme règne en maître… et où les femmes commencent à tirer leur épingle du jeu.

La pièce débute à l’avènement d’un nouveau monde : la Révolution que Figaro appelait de ses vœux dans la pièce de Beaumarchais a bien eu lieu, et gronde en toile de fond. Mais c’est davantage un vent de déroute qui flotte sur la scène inaugurale : toujours flanqués de Figaro et de son épouse Suzanne, le Comte et la Comtesse Almaviva fuient les purges révolutionnaires en empruntant les chemins de l’immigration illégale…

Fidélité ou opportunisme ? On ne sait pas très bien ce qui a poussé Figaro à rester auprès de ses maîtres, lui qui prédisait l’avenir et chantait l’égalité des droits avant même que la Révolution soit dans l’air. Ici, il fait du surplace et jette un regard désabusé sur ce qui devrait l’inciter à agir.

Une fois franchie la frontière et reconnu leur statut de prisonnier politique (!), Figaro ne souhaite plus que tirer parti de ce récent libéralisme des mœurs en s’établissant à son compte. Impuissants, désarmés face à ce nouveau monde, le Comte et la Comtesse Almaviva regardent partir les derniers témoins de leur splendeur passée. Mais ce ne sera pas sur le plan des valeurs ou celui de la philosophie que Figaro prendra sa revanche… Non, la pièce amorce un réjouissant tournant ironique en nous montrant les déboires du personnage, désormais petit patron poujadiste d’un salon de coiffure.

Ce n’est plus le règne de l’espoir mais celui de l’adaptation forcée où l’exaltation se dissout petit à petit dans le quotidien. Les rêves de liberté et de grandeur ne pèsent en effet pas lourd à Grand-Bisbille, où rien n’est plus facile que de rentrer dans le rang petit-bourgeois… L’anachronisme des décors et des costumes renforce encore ce décalage entre nos attentes déçues de spectateur et la réalité.

Un univers s’effondre, à sa place un autre glisse lentement dont on ne saisit pas tout de suite les contours. Les changements de décor, la scénographie tourbillonnante qui offre au regard, grâce à la caméra, un point de vue constamment dédoublé, est au diapason de ce bouleversement des mœurs. Figaro tente de profiter de la débâcle annoncée d’un empire, et son individualisme forcené de survivant laisse de côté Suzanne. Mais l’un des idéaux de la Révolution n’est-il pas de rendre la femme et l’homme égaux dans leur choix ?

Dans ce spectacle, ce sont effectivement les femmes qui sont positives, aimantes, dynamiques, volontaires. Face à son mari, vieillissant et pusillanime, Suzanne, brutalement échappée de son rôle de subalterne, veut pouvoir se créer un destin propre, une vie de famille qui ne serait plus soumise au bon plaisir de ses maîtres. L’époque rabat lentement le caquet de Figaro – qui s’en sortira tout de même par une pirouette finale –, et à chaque scène, le personnage de Suzanne prend de l’envergure. Le jeu de Cécile Garcia-Fogel évolue de même, passant de l’affectation et de la réserve à une ampleur, une vivacité et une force que chacune de ses interventions assoit durablement. L’ensemble des comédiens s’amuse visiblement dans ce jeu de masques dont la morale confirme la vision pessimiste d’Horváth sur la nature humaine, toujours prête à sacrifier ses idéaux et ses principes sur l’autel de la sécurité et de la permanence, et la question de l’existence même d’une pureté politique exempte de corruption et de lâcheté… 

Sarah Elghazi


Figaro divorce, d’Ödön von Horváth

Texte français d’Henri Christophe et Louis Le Goeffic

L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.

Mise en scène : Christophe Rauck

Avec : John Arnold (Figaro), Caroline Chaniolleau (la Comtesse, une juriste, secrétaire générale au bureau de la Ligue internationale d’aide aux immigrés), Marc Chouppart (un garde-frontière, le Commis du bijoutier, Antonio le jardinier du château), Jean‑Claude Durand (le Comte Almaviva), Cécile Garcia‑Fogel (Suzanne), Flore Lefebvre des Noëttes (une sage-femme, la Secrétaire de la juriste), Guillaume Lévêque (un officier, le Garde forestier, un brigadier, un commissaire), Jean‑François Lombard (un garde-frontière, Joséphine la femme du pâtissier et Monsieur de Chérubin, ancien page du Comte Almaviva), Nathalie Morazin (Fanchette), Pierre‑Henri Puente (Basile le boucher et un garde-frontière), Marc Susini (un garde-frontière, le Bijoutier, un professeur, Pedrille et un client)

Dramaturgie et assistanat à la mise en scène : Leslie Six

Scénographie : Aurélie Thomas

Costumes : Coralie Sanvoisin

Son : David Geffard

Lumière : Olivier Oudiou

Conseiller musical : Jérôme Correas

Vidéo : Kristelle Paré

Deuxième assistante à la mise en scène : Julie Peigné

Photos : © Simon Gosselin

Production : Théâtre du Nord, C.D.N. Lille-Tourcoing – Nord – Pas-de‑calais

Théâtre du Nord • place du Général-de-Gaulle • 59000 Lille

Réservations : 03 20 14 24 24 (du mardi au samedi de 12 h 30 à 19 heures) et sur www.theatredunord.fr

Création du 3 au 20 mars 2016 au Théâtre du Nord à Lille, les mardi, mercredi et vendredi à 20 heures, les jeudi et samedi à 19 heures et le dimanche à 16 heures, relâche le dimanche 6 mars et le lundi

Durée : 2 h 20

27 € | 21 € | 17 € | 10 € | 7 €

Tournée 2016

  • Les 23 et 24 mars, Théâtre de Cornouaille à Quimper
  • Les 8 et 9 avril, Théâtre Louis-Aragon à Tremblay-en-France
  • Du 14 au 24 avril (relâche le 18 avril), Kléber Méleau à Renens-Malley (Suisse)
  • Les 27 et 28 avril, Forum Meyrin à Meyrin (Suisse)
  • Les 11 et 12 mai, Comédie de Caen
  • Les 17 et 18 mai, maison de la culture d’Amiens
  • Du 26 mai au 11 juin (relâche le 30 mai et le 6 juin), le Monfort à Paris

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