Mères courage
Laura Plas
Les Trois Coups
L’autobiographique « Fils de bâtard » et le sensible « Dans le silence des paumes » mettent au centre de leurs récits des mères courages, silencieuses ou « silenciées ». Une belle idée aux démarches et aux résultats plus ou moins heureux.
Et c’est reparti pour un spectacle autofictionnel ! Le bien intitulé Fils de bâtard relate les voyages et aventures de son interprète principal sur les traces de son baroudeur de père, héros à la Kipling. Émaillée d’anecdotes amusantes, la première partie nous entraînera au Congo, puis en Antarctique, en moins d’une heure. C’est tout dire du rythme du spectacle, d’autant qu’Emmanuel de Candido se démène et ne nous laisse jamais en paix, puisqu’il s’adresse continuellement au spectateur. Son micro à la main, il n’a peur de rien et fait son show. Soyons honnête, certains ont adoré. La séduction a marché et la majorité des spectateurs étaient débout à la fin de la représentation.
Mais on peut préférer les voyages lents, ceux où on ne fait pas qu’effleurer les sujets, comme la colonisation au Congo, la Mafiafrique. Qui trop embrasse, mal étreint ? Et puis à quoi cela sert-il de critiquer la misogynie, le racisme, le bellicisme, si c’est pour terminer en chantant une version (certes décalée) de « Tu seras un homme mon fils » ? On objectera que le spectacle bifurque en son milieu. Une mort sonne le glas de l’épopée paternelle. Nous voici entrés dans le territoire moins clinquant de la mère : infirmière, célibataire. Le spectacle présente alors quelques jolis moments, comme une discussion d’actualité sur le droit de mourir. On apprécierait encore davantage le changement de paradigme, s’il était accompagné d’une métamorphose esthétique.
Où sont les mères ?
Or, au contraire, à force de vouloir mettre l’émotion à distance, de faire alterner mauvaises blagues et moments tristes, Emmanuel de Candido perd en crédibilité. On aimait le cortège funèbre fantasmé d’Antonia. On est coupé dans son émotion par une image rigolarde. Le malaise tient autant à l’écriture (vraiment pas convaincante) qu’au jeu inégal. Et on en vient à attendre avec impatience les belles interventions musicales d’Orphise Labarbe. Il y a pourtant des idées de mise en scène : une apparition fantasmatique, une pluie de cendres devenues paillettes. Elles ne suffisent pas.
En définitive, on aimerait que le spectacle laisse vraiment la place à la mère : elle a l’air formidable cette dame qui soignait les prostituées et les drogués, qui a passé sa vie aux urgences, qui s’est occupé de son fils. Une héroïne comme tant d’autres, une femme magnifique qui mériterait d’occuper la première place, non seulement par rapport à son amant, mais aussi par rapport à son fils.
Le sourire de notre mère
Il y a des femmes qui ne parlent pas. Elles se taisent pour ne pas peser. Partager leurs douleurs avec leurs enfants reviendrait à les entraver. On n’a jamais fait cas d’elles, elles ont toujours été « au service de », alors comment sauraient-elles faire cas d’elles-mêmes ? C’est avec l’une d’elles que les trois personnages de Dans le silence des paumes ont rendez-vous. Quand les frères et la sœur arrivent, elle s’est tue à jamais. Il va donc falloir enquêter pour découvrir cette mère discrète et nous la faire découvrir par la même occasion.
Trois récits se succèdent en conséquence assez habilement pour raconter les trois époques de la vie de la morte. Au bout d’une heure, le fauteuil, seul élément d’une scénographie adaptée au théâtre en appartement, nous semble occupé par la défunte. On devinerait presque ce sourire qu’elle ne s’était jamais autorisée de son vivant, mais qu’elle offre désormais à sa progéniture.
« Dans le silence des paumes », de Florian Pâque © Fred Chapotat
Sans doute, cette présence est-elle rendue palpable par un travail de chœur. Si les comédiens jouent la mère tour à tour avec beaucoup de délicatesse, l’entièreté du récit est partagé par les enfants. Ainsi, aucun autre personnage ne tire la couverture à soi. C’est pourquoi on se passerait d’entendre la voix enregistrée de l’absente au final de la pièce. Elle était déjà là. Par ailleurs, l’écriture, parce qu’elle est nourrie d’une matière documentaire, est crédible. Les témoignages recueillis par la compagnie à Sevran sont d’ailleurs partiellement diffusés lors de la représentation.
Arte povera : esthétique et éthique
Ajoutons que la scénographie ingénieuse, car légère et bricolée, colle bien au sujet. Des bidons éclairés, une servante habitée de sursauts mystérieux, quelques éclairages et nous voici sur une piste de danse, puis dans une entreprise où la mère a été femme de ménage, ou sur le marché. Art pauvre pour raconter une vie d’opprimée.
Enfin, la distribution est de grande qualité. Quelques très courts passages sont certes un peu surjoués (étudiante de l’examen, bredouillement du puiné au tout début…) pour faire sourire, mais on est touché par Loelia Salvador, impeccable de bout en bout. On se souviendra en particulier de ce beau moment où un comédien, Nicolas Schmidt, évoque avec justesse et émotion le désir féminin. On n’oubliera pas non plus les moments où Florian Pâque campe avec tendresse un fils bouleversé par l’humiliation et la maladie de celle qui lui a donné le jour. Un spectacle humble et touchant, notamment grâce à l’attention qu’il porte à ses personnages et à ses sujets.
Laura Plas
Fils de bâtard, d’Emmanuel de Candido
Site de la Cie MAPS
Conception et interprétation : Emmanuel de Candido
Interprétation musicale : Orphise Labarbe
Durée : 2 h 15 (trajet inclus)
Dès 15 ans
La Manufacture • Patinoire • 2483, avenue de L’Amandier • 84140 Avignon
Du 5 au 22 juillet 2025 (sauf les 10 et 17), à 16 h 05
De 10 € à 22, 50 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
Dans le silence des paumes, de Florian Pâque
Le texte est publié chez Lansman Editeur – Emile&Cie
Site de la cie Le Nez au milieu du village
Écriture et mise en scène : Florian Pâque
Avec : Loelia Salvador, Nicolas Schmitt et Florian Pâque
Durée : 2 heures (trajet inclus)
Dès 15 ans
Théâtre Le Train Bleu • Espace MAIF • 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 5 au 24 juillet 2025 (sauf le 11 et 18), à 12 heures
5 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Magali Mougel, Marie-Christine lê Huu, palmarès Grand Prix Artcena 2024, CNSAD, Paris, par Stéphanie Ruffier
Photos ou de une : « Fils de bâtard », Cie MAPS © Lara Herbinia